Memento Mori : Valar morghulis

12 3 0
                                    

Anastasia posa une tasse de thé devant moi.

_Mes pantins sont prêts à intervenir, dit-elle. À treize heures trente-neuf, tout commencera.

Il y a un mois, nous étions assis dans ce même salon, et je faisais enfin la rencontre du pinceau qui me servirait pour mon dernier tableau, mon ultime chef-d'œuvre.

Je pris la tasse et aspirai une gorgée de thé, mais la recrachai aussitôt, pris d'une violente quinte de toux. Elles devenaient de plus en plus fréquentes et violentes à mesure que les jours avançaient. Toussant à en cracher du sang, je sentis une douleur horrible en plein cœur.

_Cette foutue maladie, me dis-je intérieurement.

Je n'en avais plus pour longtemps. Je le savais, et j'y étais préparé. Anastasia me tendit un mouchoir pour essuyer le sang. Après avoir essuyé tout le sang, je finis ma tasse de thé et me rendis dans une salle pour peindre.

Cette salle était l'entrepôt d'Anastasia. Sur les murs étaient accrochés des bras et des jambes. Dans une armoire reculée, cerveaux, cœurs, reins et poumons étaient conservés dans des bocaux aqueux. Sur une grande étagère étaient posées des têtes ensanglantées, comme des trophées.

_Tellement de souvenirs, dis-je en m'installant sur un tabouret en face d'une toile posée sur son support.

C'était dans une pièce très similaire que j'avais vu la mort pour la première fois ; que j'avais vu la vie dans son état le plus fragile. Je regardai ma montre et lis : « 1 h 38 ». Dans quelques secondes, tout allait commencer, tout allait finir.

Quand ma montre sonna, marquant l'heure fatidique, je commençais à peindre. Les minutes passèrent, les heures passèrent, et j'étais toujours devant ma toile, imperturbable. J'étais plongé dans mon art, et je ne ressentais plus rien. La douleur, la maladie, tout avait disparu.

Je peignais pour la vie, pour la beauté, et pour la mémoire. Je peignais pour que mon dernier tableau soit une œuvre d'art inoubliable. Et je peignais pour que mon âme vive éternellement.

Quatre heures plus tard, mon tableau était enfin terminé. Il représentait un homme à genoux, présentant un écrin ensanglanté contenant un cœur humain. Je le contemplais depuis un moment, admirant la perfection de mon travail. C'était ma plus belle création, sans aucun doute. Soudain, j'entendis une voix derrière moi.

– Il est magnifique, dit la voix.

Je me retournai brusquement, surpris. Un homme était là, portant un masque d'ours en latex. Il s'avança vers moi, tenant une batte de baseball dans sa main. Avant que je puisse réagir, il me frappa à la tête. Le monde se mit à tourner et je perdis connaissance.

À mon réveil, j'ai senti un mal de crâne atroce. Il m'a fallu un moment pour reprendre mes esprits. Lorsque je fus enfin capable de me concentrer, je constatai que j'étais attaché à une chaise, les mains et les pieds liés, au milieu d'une pièce vide, éclairée seulement par une lampe au plafond. Devant moi, dans la pénombre, j'apercevais des silhouettes d'hommes. Il y en avait cinq.

Un ours. Un porc. Un renard. Un loup. Une chèvre.

Sans que j'aie le temps de comprendre ce qui se passait, une sixième silhouette surgit de l'ombre. Lorsqu'elle fut éclairée, je reconnus le visage d'Anastasia, qui s'assit sur une chaise placée en face de moi, poussée par l'un des hommes masqués.

_C'est quoi ce cirque ? Lançai-je à Anastasia, qui arborait un rictus mauvais.

_Tu vois mon cher "artisan de la mort", dit-elle en mimant des guillemets, tu n'as de cesse de répéter que la mort est imprévisible, qu'elle touche tout le monde, n'importe où, n'importe quand, et n'importe qui. Eh bien, même toi, mon cher artisan, tu n'y échapperas pas.

Recueil de nouvelles IOù les histoires vivent. Découvrez maintenant