Le capitaine et l'orque

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_Devenons amis.
_Quoi ?
_C'est simple : devenons amis.
_Tu dis n'importe quoi. Je ne veux pas être ton ami.
_Pourquoi pas ?
_Parce que je n'ai pas confiance en toi et tes semblables, répliqua le marin.
_Même après t'avoir sauvé la vie ?

Le marin soupira.

_ Oui, et puis va-t'en ! Tu n'as rien à faire ici ! Rentre voir ta famille et laisse-moi tranquille ! Cria le marin.
_Mais... Vous dérivez de plus en plus loin de la côte. Si vous voulez, je peux vous y conduire...
_Silence ! Cria l'homme, à cause de toi et de tes semblables, cela fait quatre interminables jours ! Quatre jours de dérive sans la moindre idée de notre destination, quatre jours à endurer le froid, la soif et la faim. Quatre jours que j'ai vus mes proches, mes frères, et mes compagnons mourir, leurs corps gelés maintenant ensevelis au fond de cette mer.

Le marin se mit à tousser violemment, grelottant de froid, et des larmes de tristesse coulaient sur ses joues. Il pleurait la mort de ses confrères, il pleurait pour les habitants du village qui mourraient sûrement de faim. Il pleurait aussi pour lui-même, coincé en mer depuis quatre jours, à la dérive sans savoir où il se rendait dans cette mer infinie. Il savait qu'il mourrait sans revoir ses proches.

_Je suis vraiment navré, dit le petit orque.
_Tu n'en sais rien. Tu ne sais rien du tout.
_Vous savez... Moi aussi, j'ai perdu ma famille pendant la tempête. Je comprends votre peine, car je la ressens aussi.

Le marin resta silencieux.

_Laisse-moi, petit, laisse-moi mourir en paix et va-t'en. Tu es une terreur des mers. Ton rang et ta réputation te permettront de vivre encore longtemps sur ces mers. Mais moi... je ne suis pas dans mon état naturel, il fait beaucoup trop froid ici et je n'ai rien pour me nourrir. Il ne reste qu'une question de temps ou de minutes avant que je ne parte à jamais.
_Je suis beaucoup trop jeune, et je ne sais pas comment me défendre dans ces mers tout seul. Je mourrais aussi si jamais je me faisais attaquer par plus grand que moi.

Le ventre du pauvre marin se mit à gargouiller aussitôt.

_Il me semble que vous avez faim.
_Pas du tout ! Je suis juste épuisé, c'est tout. Et puis, qu'est-ce que tu en sais, tu n'es rien d'autre qu'un dauphin-pie sauvage et sanguinaire.
_Attendez, je vais vous chercher de quoi manger.

Le petit orque plongea dans les profondeurs de la mer glaciale.

_Eh ! Sors de là, espèce de poisson d'eau douce ! Arrête ton cirque !

Le petit orque avait plongé pour chercher quelque chose à manger pour son pauvre compagnon, le vieux marin. Il remonta quelques minutes plus tard à la surface, tenant un tas de petits poissons dans son bec, qu'il déposa sur la petite barque. Le marin hésitant mais affamé, avait fini par manger les poissons crus que lui avait généreusement apportés le petit orque.

_Ton geste était généreux, j'en suis reconnaissant, mais tu finiras par me manger, tôt ou tard. C'est comme ça que vous fonctionnez.
_Je ne vous mangerai pas, vous êtes mon ami.
_Tu ne comprends rien. Les orques ne peuvent pas être amis des humains. Vous êtes sournois et pleins de malice. Personne, même dans les mers, ne vous fait confiance.
_Mais puisque je vous dis que je ne vous mangerai pas.

Le marin prit une grande bouchée, puis expira profondément avant de remercier son petit compagnon de mer.

_Eh bien... Merci, petit orque.
_Je peux vous conduire chez vous.

Le marin, hésitant, finit par accepter l'offre de cette créature marine qui avait été à ses côtés depuis le naufrage de son navire.

Le navire de pêche du capitaine Laurent avait pris la mer il y a six jours, quittant la côte et laissant derrière lui un village affamé, mal nourri, mourant à petit feu à cause de la guerre. Leur mission était de rapporter suffisamment de vivres pour subsister pendant l'hiver qui approchait.

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