9] Le Sang et l'eau

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-Monsieur.

Lui se détourne de la fenêtre - seul endroit de toute l'Usine où il y en a une - pour porter son attention sur le trafiquant qui vient d'entrer dans son bureau.

-Oui?
-On a un problème.
-De quel genre?
-A15...

Aussitôt, il suit l'homme armé et se retrouve sur la passerelle donnant sur le grand hangar des commandes. Là, une boîte attend. Vide.
Ils descendent les escaliers en taule et Lui s'exclame d'une vois ferme teintée de colère avant même de poser son pied sur le sol ferme:

-Pourquoi n'est-elle toujours pas ici?

Des regards s'échangent, et le silence le fait sortir de ses gonds. Il attrape une matraque à la ceinture de l'homme qui est venu le chercher et le frappe en plein visage si violemment que son nez s'ouvre et qu'il tombe sur le sol en béton.

-J'ai posé une question.
-Elle a tué Yann hier soir, on s'en est rendus compte ce matin. Elle a son arme. Elle a menacé de tuer tous ceux qui voudraient la faire sortir.
-Et vous avez peur d'une gamine grasse?
-Elle a menacé de se tuer aussi...
-Bande de connards décérébrés: elle ne sait pas se servir d'une arme à feu.
-Pourtant elle a tué...

Il coupe l'homme qui venait de parler en se mettant en route vers les cellules, et dit d'une voix calme:

-Je sais parfaitement ce qu'elle a utilisé comme arme cette petite peste...

Le couloir des cellules est étroit, et les hommes armés jusqu'aux dents s'y agglomèrent, Lui à leur tête. Sans peur, et sans arme, il ouvre la porte.
Là, il découvre A15, recroquevillée assise sur son matelas dans l'angle de la minuscule pièce, l'arme à feu à ses pieds et son crayon ensanglanté dans sa main.
A l'autre bout, git le corps de Yann. Il ne lui reste qu'un seul oeil, tandis que l'autre n'est plus qu'un cratère sombre et rouge. Pour l'avoir tué si facilement, elle a du atteindre le cerveau se dit-il. Elle est vive. Décidément plus remarquable qu'il ne le pensait déjà.
Lui baisse les yeux jusqu'à son pantalon à moitié baissé. Sa petite queue flasque sort de sa braguette, toute aussi morte que le reste. Il sert les mâchoires, reporte son attention vers la jeune fille qui le regarde les yeux écarquillés.

-Il t'a violée?

A15 jette un coup d'œil au cadavre, puis murmure:

-Il a essayé.

Lui sentit un grand soulagement dans sa poitrine. Elle se devait d'être vierge. Sinon tout ceci n'avait plus aucun sens.

-Je sais que tu ne vas pas te tuer. Tu es trop curieuse de savoir ce qui se cache à l'extérieur pour ça.

Il n'a pas tort. Elle n'a aucune intention de mettre fin à ses jours, ce n'était qu'une menace qui s'était avérée efficace. Pourtant, il se trompe sur un point.

-Je ne veux pas partir.
-Tu as peur de ton sort futur?
-Je veux rester avec vous.

Il sait parfaitement qu'elle s'était attachée à Lui toutes ces années, comme a une bouée de sauvetage, et qu'elle se soit montrée nue devant Lui avait confirmé ce qu'il pensait déjà: elle le désire, sans doute même l'aime-t-elle. C'est pour cette raison qu'il ne veut plus attendre pour l'envoyer hors d'ici.
Il tourne son visage vers le couloir, fait un signe de tête pour faire comprendre à ses hommes de partir et de l'attendre au hangar. Ils obéissent.

Il s'avance alors dans la cellule et tend sa main vers elle. Elle hésite mais y glisse la sienne. Il l'aide à se relever et elle laisse le crayon sur le matelas.

-C'est bien. Maintenant il faut te laver.

Ensemble, ils vont jusqu'à grande salle carrelée qui sert de salle de douche à toutes les filles. Elles sont lavées en groupe par des jets d'eaux puissants, tel du bétail. Mais aujourd'hui, A15 est seule, et pour la première fois c'est Lui qui l'y conduit.

-Retire ta combinaison.

Elle obéit. Pas même parce que c'est Lui, mais parce qu'elle est parfaitement habituée à ce rituel que les trafiquants lui réservent depuis toujours.
Nue, elle se place contre le mur carrelé et attend le jet violent d'eau glacée venir rougir sa peau, mais rien. Au lieu de ça, Lui vient prendre un plus petit tuyau accroché au mur et autre un robinet. L'eau est froid, aucune installation d'eau chaude ici, en revanche le jet est doux et ne fait pas mal à la jeune fille. L'eau froide ne lui fait rien, ça aussi, son corps est habitué. Du sang dilué tourne dans les évacuations.
Il lui donne un morceau de savon et lui dit de se laver, puis il la rince intégralement, en passant sa main sur son corps pour enlever les restes de savon. A15 en frémit, et des frissons lui parcourent tout le corps, mais elle tente de ne rien laisser paraître et évite soigneusement son regard.
Il éteint ensuite l'eau et lui donne une serviette. Elle s'essuie, et s'apprête à reprendre sa combinaison mais il l'arrête:

-Tu n'en as plus besoin.

Ne sachant plus quoi faire d'autre, et ayant parfaitement conscience que si elle venait à résister les hommes la maîtriseraient sans hésiter pour aller l'enfermer dans sa boîte et l'expédier où ils ont décidé, A15 décide d'obtempérer à contre coeur. Elle lâche sa serviette qui tombe sur le sol.

-C'est bien.

Il s'apprête à quitter la pièce pour rejoindre le hangar avec elle et clore ce problème, mais avant de le suivre, A15 lâche enfin, les yeux rivés sur le sol:

-Je vous aime. Ne vous débarrassez pas de moi je vous en prie.

Celle qui n'a pas de nomOù les histoires vivent. Découvrez maintenant