20] Dix-huit bougies

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Alice triture du bout de sa fourchette ses deux oeufs au plat dans son assiette qui semblent la regarder et lui faire une grimace. Elle n'a pas faim ce matin.

-Qu'est ce que tu as? lui demande Adèle qui a remarqué que quelque chose cloche.
-Rien, rien...

La femme n'insiste pas et continue d'essuyer la vaisselle lorsque finalement Alice lui demande:

-Vous avez déjà couché avec un homme?

Adèle hausse un sourcil et pose le verre qu'elle était en train d'essuyer.

-Pourquoi tu me demandes ça?
-Ça fait mal?
-Oh... et bien. Ça dépend de beaucoup de choses. Parfois oui... un peu.
-Pourquoi vous êtes ici?
-C'est mon travail.
-Mais pourquoi?
-C'est comme ça. Je travaillais déjà pour son père, maintenant pour lui. Je suis fidèle à sa famille.
-Vous sortez souvent? Dehors.
-Parfois seulement. Je suis mieux ici. Le monde extérieur est plus dangereux qu'autre chose crois-moi.

Un ange passe. Alors Adèle essaye de changer de sujet:

-Ton anniversaire est dans quelques jours. Cela te plairait que je te fasse un gâteau? Avec des bougies. J'imagine que tu n'en as jamais eu...

Les yeux d'Alice s'illuminent. Elle n'a vu des gâteaux d'anniversaire qu'en dessin, mais l'idée la séduit immédiatement.

-Vous pouvez faire ça?
-Bien-sûr! Avec dix-huit belles bougies que tu pourras souffler pour faire un vœu.

Alice est émue par cette proposition. Mais au fond cela n'atténue qu'un peu l'angoisse qui lui enserre la gorge lorsqu'elle imagine sa majorité approcher.





Les jours passent et Lui ne revient pas. Alice passe ses journées à lire. Le Petit Prince, Jane Eyre, Les Contes de Perrault, Les Trois Mousquetaires, Les Malheurs de Sophie, ... Elle enchaîne les livres sans jamais s'en lasser, même si elle ne comprend pas tout, même si certaines notions et certains mots lui sont étrangers, elle y prend un plaisir absolu.
Adèle est aux petits soins et lui fait des repas toujours simples et délicieux, mais les deux femmes ne parlent pas beaucoup. Alice est silencieuse, et Adèle ne la brusque pas, elle respecte son choix de discuter ou non.
Comme elle l'avait promis, elle prépare pour l'anniversaire un gâteau au chocolat à deux étages. C'est beaucoup trop pour deux personnes mais elle sait que cela fera plaisir à Alice, et en effet ça ne rate pas.
Elle lui fait la surprise dans l'après-midi du jour de ses dix-huit ans, en lui apportant dans le salon le gâteau avec toutes les bougies allumées et en chantant la chanson traditionnelle que pourtant Alice n'a jamais entendue.
Elle lisait « Les quatre filles du Docteur March » près de la cheminée, lorsqu'elle a été surprise. Elle a pose le livre et se lève, hypnotisée. Lorsqu'Adèle finit de chanter, Alice reste immobile, alors elle l'encourage:

-Vas-y, tu peux souffler maintenant. Et n'oublie pas de faire un vœu.

Alice souffle, en souhaitant de toute son âme qu'elle vive le même amour passionnel avec Lui, qu'elle a pu lire dans ses romans.

-Bravo! Viens, on va le découper dans la cuisine.

Alice la suit, mais avant d'y entrer, une voix masculine les arrête.

-A15.

Adèle se retourne aussi, et dit doucement:

-Elle s'appelle Alice.
-C'est vrai. Alice. Il est temps...

Les deux femmes échangent un regard. Alice ne cache pas son appréhension.

-Ne t'inquiète pas. On mangera le gâteau plus tard.

Lui tend sa main vers elle.

-Allez. Viens.

Alice hésite, avale sa salive, et glisse sa main dans la sienne.

Celle qui n'a pas de nomOù les histoires vivent. Découvrez maintenant