35] Libérées

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Alice s'assure qu'il n'y a de nouveau personne dans le hangar ou sur la passerelle et elle quitte le bureau. Elle redescend les escaliers en métal et se faufile dans le long couloir qu'elle a parcouru tant de fois de sa cellule à ici. Elle bouge comme une féline et reste cachée dans l'ombre, l'oreille alerte.
Tout est calme. Elle ne sait pas l'heure qu'il est. Sans doute très tard ou très tôt.
Elle tient ferment le trousseau de clefs pour qu'il n'émette aucun son de tintement malencontreux.
Elle va dans un couloir dans lequel elle n'a jamais eu le droit de mettre les pieds. S'il y a une sortie, c'est forcément dans un endroit qu'elle ne connaît pas.
Mais rien. Nulle part. Des pièces vides ou fermées qu'elle ne peut pas ouvrir. Et tout des murs de bétons sans fenêtre, sans ouverture, sans le moindre espoir.

Après avoir tourné dans presque tout le bâtiment elle se fait une raison: elle ne pourra sortir que par la grande porte du hangar. Il n'y a aucune autre issue, aucun autre moyen.
Mais elle est seule, sans la bonne clef, et surtout, les hommes armés vont découvrir tôt ou tard les cadavres et elle peu de temps après... ou bien l'inverse.
Elle doit agir vite, pendant que personne encore ne sait ce qui s'est passé dans cette fausse maison de montagne.

Soudain, un éclair lui traverse l'esprit.
Elle est seule oui. Mais elle n'est pas obligée de le rester!

Elle court jusqu'à son couloir à elle. Celui où elle a été enfermée toute sa courte vie. Celui où d'autres sont encore prisonnières comme elle l'était.
Sa cellule est toujours vide, et du sang jonche encore le sol, là où elle avait tué celui qui avait essayé de la violer. L'étiquette à côté de la porte indique encore « A15 ». Ce nom. Son vrai nom. Elle baisse les yeux, respire profondément. Ce n'est pas le moment de se ramollir.

Elle se place devant la porte d'à côté et lit « A32 ».
Elle prend les clefs, en essaye plusieurs. La serrure se débrouille enfin. Elle ouvre et découvre en boule sur le matelas une jeune fille en combinaison grise comme celles qu'elle portait. Son regard est apeuré et ses cheveux gras. Elle ne doit pas avoir plus de treize ou quatorze ans. Elle aussi est rondelette. Est-elle réservée à la vente ou à la pornographie?

-Je suis la fille de la cellule d'à côte. On va sortir d'ici viens.

Alice essaye d'être rassurante, mais ce n'est pas un rôle qu'elle a déjà essayé, et elle ne sait pas vraiment comment s'y prendre, surtout qu'elles n'ont pas le temps de discuter. Elles doivent agir, et vite.

-Ce n'est pas un piège, je ne te veux pas de mal, je te le promets. Mais tu dois te decider: soit tu restes ici, soit tu viens avec moi.

Elle n'attend pas la réponse de la gamine et passe à la cellule d'après. De même, elle ouvre la porte. Celle-ci, habillée de la même manière, a peut-être seize ans. Elle paraît moins apeurée, mais reste méfiante. Alice lui sert le même discours qu'à la précédente, tandis que cette dernière arrive justement à ses côtés d'un petit pas de souris.
Voir deux filles au lieu de deux semble convaincre la troisième qui se lève à son tour et les suit.

Ainsi, Alice libère chacune des filles du couloir: douze au total, plus elle. Toutes jeunes, toutes vierges, toutes « A ».
Elles sont faibles, ne connaissent rien du monde et des humains, ont peur.
Pourtant, Alice est confiante, parce que toutes ensembles, elles sont enfin fortes.

Celle qui n'a pas de nomOù les histoires vivent. Découvrez maintenant