18] Épées, flamme et lapin

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La maison est grande, plus grande encore que ne l'avait imaginé A15. Pas très large, elle monte en revanche sur deux étages et les plafonds sont hauts, tout en bois.
En revanche, aucune fenêtre. Du moins aucune qui n'est pas condamnée. Mais n'en ayant jamais vu en vrai, cela ne choque pas particulièrement la jeune fille qui est de toute façon déjà trop submergée par tout ce qu'elle découvre dans ce manoir.
Pendant une semaine complète, A15 explore en détail chaque recoin des lieux, chaque pièce, chaque meuble, chaque bibelot. Seules trois portes restent closent: celle de la chambre de Lui, de celle d'Adèle, et la porte qui mène vers l'extérieur.

Adèle est toujours dans les parages, elle lui prépare ses repas et reste à sa disposition mais la laisse faire ce qu'elle souhaite. Elle ne semble jamais partir non plus, ce qui fait songer à A15 que si une femme qui a la possibilité de sortir ne le fait pas, c'est que le monde extérieur n'est peut être pas si exceptionnel que ça. Lui sort pour le travail, c'est différent, il n'a pas le choix.

Les pièces préférées d'A15 sont finalement la bibliothèque, le salon lorsque le feu est allumé, et sa salle de bain, où elle s'est désormais habituée à ses douches chaudes qui lui font tant de bien et décontractent tous ses muscles et tensions.

Elle choisit ses lectures principalement par leur couvertures. Le premier livre était rouge et doré avec le dessin de deux épées entrelacées, magnifique, avec inscrit toutes lettres « Le Cid ». Mais A15 a très vite décroché de sa lecture, n'y comprenant rien. Elle s'est ensuite tournée vers un livre très fin, sur la couverture duquel une flamme brillait et qui attira immédiatement son œil. « La petite fille aux allumettes » lui donna encore plus envie de lire, s'identifiant à ce titre. Elle le lut d'une traite, un soir dans son lit, mais elle en fut particulièrement déçue. Elle ne savait pas que les livres pouvaient être tristes, et un horrible sentiment envahit son cœur. Cette nuit là, elle eut grand mal à trouver le sommeil.
Le lendemain, elle espéra vraiment trouver quelque chose qui lui remonterait le moral, et elle choisit un livre vert sapin sur lequel était dessin un lapin. C'est ainsi que sa lecture d' « Alice aux pays des merveilles » débuta.

Depuis qu'elle y a mis le nez, A15 le dévore, mais se fait violence pour ralentir, pour ne pas l'achever et trop vite. Ce texte est le plus passionnant qu'elle n'a jamais lu, car il lui fait imaginer des choses improbables, incroyables. Elle ne pensait pas que de telles choses pouvaient être écrites et pensées. Bien-sûr, elle sait que rétrécir est impossible, tout autant que les animaux qui parlent bien qu'elles n'en ait jamais vu, et que les chats qui disparaissent, mais malgré tout, elle ne pensait pas que de telles choses avaient le droit d'être inventées et imaginées. Ce texte ouvre son esprit à des possibilités qu'elle n'avait jamais envisagé, et cela la rend heureuse, atrocement heureuse.

Le soir du jour où elle finit sa lecture, elle va voir Adèle, avec un large sourire, et lui annonce avec fierté:

-Je sais comment je vais m'appeler.
-Ah oui? Comment?
-Alice!

Elle aime que ce prénom commence par un A. A comme A15, et A comme Adèle aussi. Elle apprécie beaucoup Adèle, car en fait, c'est la seule femme avec qui elle a jamais eu le moindre lien ou la moindre conversation.

-J'en connais une qui a lu du Lewis Carroll...
-C'est très connu?
-Oh oui. Très.
-Et ce prénom aussi du coup?

Adèle hoche la tête et A15 semble déçue. Elle aurait apprécié s'appeler par un prénom original mais tant pis, elle hausse les épaules, elle s'appelle désormais Alice malgré tout.

-Je dois donc t'appeler Alice maintenant?
-Oui!
-D'accord.

Une voix familière résonne alors dans le dos d'Alice:

-Qui doit on désormais appeler Alice?

La jeune femme fait volte face et découvre avec bonheur le visage de Lui. S'il n'y avait Adèle, elle lui sauterait dans les bras sans hésitation. Elle sourit de toutes ses dents et répond:

-Moi!

Lui hausse un sourcil intrigué:

-Ah oui? Et en quel honneur?
-C'est comme le livre. C'est Adèle qui m'a donné cette idée.

Lui lâche un regard entendu à Adèle qui baisse aussitôt les yeux et s'éclipse de la pièce pour les laisser seul à seule.
Il s'approche alors de la jeune femme et vient remettre une mèche de ses cheveux derrière son oreille avant de lui dire d'une voix douce:

-Je ne sais pas si c'est une bonne idée. Après tout, tu as déjà ton identité, A15 est ton prénom...

Elle fronce les sourcils et recule son visage:

-Mais ce n'est pas un prénom justement. C'est une lettre et un nombre.
-Je n'ai pas envie de me battre avec toi. Appelle toi comme tu souhaites. Je ne suis pas venu pour discuter de ça.

Il le contourne et va s'assoir sur une chaise de la cuisine face à elle qui reste debout, il croise les jambes en la regardant attentivement.

-Je dois te parler...

Celle qui n'a pas de nomOù les histoires vivent. Découvrez maintenant