16] Nuit et matin

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-Embrassez-moi.

Lui la regarde intensément, et soudain la plaque contre un pan de bibliothèque. Le geste est si brusque qu'elle pousse un petit cri de surprise. Il plonge ses yeux au plus profond des siens et dit sévèrement:

-Ne me donne pas d'ordre.

Pendant un instant, A15 frémit de peur. Il a raison. Comment a-t-elle osé faire une telle chose?
Mais alors, il se penche sur elle et sans décoller son corps du siens, il vient mordre son cou, sous ses cheveux. Doucement, d'abord, puis plus fort, si bien qu'elle essaye furtivement de le repousser à cause de la douleur, mais il s'arrête.

-Pour t'apprendre les bonnes manière, dit-il avec un petit rictus.

Puis, il met enfin un terme au supplice de la jeune femme et l'embrasse.
Elle découvre avec le plus grand des plaisirs le goût de sa bouche, l'amertume de sa salive, la douceur de sa langue, l'empressement de ses lèvres.
Les pulsions sexuelles retenues depuis presque dix-huit ans ne peuvent plus se retenir, tout souhaite sortir, exploser.
Elle veut le toucher, le voir, le sentir.
Son instinct primitif fait glisser ses mains vers l'entre-jambe de Lui, et alors qu'elle sent sous la pulpe de ses doigts l'objet de tous ses désirs, il vient lui saisir le poignet et stopper leur baiser. Il la regarde avec un sourire et elle avec incompréhension et désespoir, et il dit alors d'une voix douce:

-Il est l'heure d'aller au lit.
-...Mais...
-Et sans discussion.

A15 n'a rien à répondre. Déçue et triste, elle prend son carnet et ses pastels, retire la seule chaussure qui lui reste et quitte la bibliothèque pieds nus. Dans le couloir, elle ramasse son deuxième escarpin, tandis que Lui la suit en silence.
Elle se souvient déjà du chemin.
Elle resort des corridors, remonte les escaliers, Lui toujours dans son dos, et ils arrivent à la chambre de la jeune femme.
Elle se tourne alors vers Lui:

-Cela me donne une drôle de sensation de déjà-vu, dit-elle simplement, faisant référence à leur passé commun dans l'Usine, lorsqu'il la raccompagnait à sa cellule.
-Mais ici, tu es chez toi, et en sécurité.
-Vous serez là demain?
-Ne t'en fais pas, je ne vais pas t'abandonner.

Cette réponse lui chuchote que non, il ne serait pas là le lendemain. Elle en est d'autant plus triste. Ce baiser est la chose la plus chaude et merveilleuse qu'elle n'a jamais vécu et elle souhaite que cela recommence, et que cela se poursuive.

Il se penche vers elle et dépose un baiser sur son front avant de reprendre:

-Tu auras de quoi occuper tes journées, tu as tant de choses à découvrir... Mon absence ne te pèsera pas, et je reviendrai vite. Adèle est là pour toi, fais-en une amie. Mais demain. Ce soir je veux que tu te reposes.

Elle a envie de le retenir, mais n'en fait rien, elle sait que c'est inutile.
Il referme la porte, mais elle n'entend pas la serrure: il n'a pas fermé à clef. Elle n'est plus prisonnière. Et il lui fait confiance. Cela lui réchauffe quelque peu le coeur, mais ce n'est pas une grande consolation.
Elle retire sa robe, ses sous-vêtements -qui la grattaient et lui faisaient mal- et elle se glisse nue dans son lit. Elle pensait ne pas trouver le sommeil, mais il ne lui faut finalement que quelques minutes pour sombrer.


Lorsqu'elle rouvre les paupières, elle sent que la nuit est passée. Elle regarde l'horloge, est-ce l'heure du matin qui y est indiquée?
Elle se lève et s'habille avec la même robe que la veille, puisqu'elle a toujours eu l'habitude remettre la même combinaison chaque jour. Elle ne met en revanche pas de sous-vêtements, car elle a détesté les porter et n'y trouve aucune utilité, et choisit de rester pieds nus.
Elle sort alors de sa chambre et se balade au hasard dans la maison, comme une exploratrice. Lui a raison, elle verra sans doute moins le temps passer si elle s'occupe, et pour tout dire, cela lui plaît vraiment d'avoir des choses inédites à voir et faire.

Finalement, elle se laisse guider par une odeur délicieuse qui fait gargouiller son ventre. Elle descend les escaliers et arrive sur sa gauche dans ce qu'elle déduit être une cuisine. Les imagiers lui reviennent en mémoire: le four, le frigo, les plaques de cuissons...

-Bonjour.

Adèle est au milieu de cette pièce inédite aux couleurs chaudes, une poêle à la main et un sourire aux lèvres.

-Bonjour...
-Tu as bien dormi?

A15 hoche la tête.

-Assieds-toi. Je t'ai fait des oeufs et des toasts.

Elle la sert et la jeune femme en salive. Elle la remercie et se met à manger. Et finalement, elle demande:

-Adèle...
-Oui?
-Vous pourriez m'apprendre à lire l'heure?

Celle qui n'a pas de nomOù les histoires vivent. Découvrez maintenant