15] Maladresse

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-...Je te voulais en sécurité, loin de l'Usine, et... toute à moi, sans plus aucun compte à rebours entre nous.

A15 avale lentement sa salive, ses yeux fixés dans les siens, les doigts serrés autour des accoudoirs de son fauteuil. Son cœur palpite dans sa poitrine. Et dans un murmure elle demande:

-Qu'attendez-vous de moi?

Lui sourit, avant de pencher doucement la tête en l'observant, et de répondre:

-Toi.

A15 est amoureuse de Lui depuis des années. Tant qu'elle ne saurait les compter. Elle le désire, le fantasme, l'adore, le vénère. Pourtant en cet instant, elle se sent incapable de sauter de joie, car elle est terrorisée. Elle a peur que tout ceci ne soit qu'un mensonge, une illusion. Elle ne veut pas qu'il la rejette de nouveau, et qu'elle retourne dans une boîte en bois pour être expédiée dans l'inconnu.

-Je vivrai désormais ici?
-Oui.
-Avec vous?
-Je dois régulièrement me rendre dans plusieurs pays d'Europe pour les affaires. Mais oui.
-Vous ne m'avez pas vendue. Je suis donc un investissement à perte...

Lui pousse un petit rire en dressant un sourcil.

-Je ne pensais pas que tu écoutais à ce point toutes les choses que je pouvais te raconter quand je te parlais du business.
-Je vous écoute attentivement. Toujours...

Lui cesse de sourire. A15 n'est pas en train de rire. Ce n'est pas un jeu pour elle, c'est sa vie. Et il en prend toujours un peu plus conscience. Il dit alors sur un ton tout à fait sérieux et sincère:

-Tu n'es pas un investissement à perte. Et de l'argent j'en ai assez. Je ne te vendrai jamais.
-Je suis donc... à vous? Pour toujours?

Alors, il hoche lentement la tête, et le coeur d'A15 se serre dans sa poitrine.
Sans pouvoir se retenir davantage, elle se lève d'un bond et se jette dans les bras de Lui. Mais son geste est si violent que le fauteuil bascule et qu'ils se retrouvent tous les deux étalés sur le sol, elle sur lui, les jambes en l'air avec ridicule.
La jeune femme est bouleversée par son geste qu'elle regrette amèrement et tente maladroitement de se relever en bafouillant ses excuses mais alors, Lui éclate d'un rire sincère. Elle le regarde, leurs visages à quelques centimètres l'un de l'autre, et elle observe sa beauté. Ses dents, son nez, ses pommettes remontées par le rire, ses yeux plissés. Elle ne l'avait pas vu rire depuis bien longtemps. Cela était arrivé quelques fois lorsqu'il lui rendait visite dans sa cellule, et qu'elle disait où faisait quelque chose d'absurde. Il riait, sans qu'elle ne comprenne vraiment pourquoi, mais il n'avait pas l'air de se moquer d'elle, simplement d'apprécier sa maladresse ou son innocence.

Finalement, il cesse, et l'observe, une lueur attendrie dans le regard.
Les mains de Lui sont posées sur les hanches d'A15, et celles de cette dernière sur son torse, afin de ne pas l'écraser complètement. Par leur proximité, et leurs regards, A15 a une irrépressible envie de l'embrasser, et surtout, cela semble la chose la plus naturelle à faire. Elle n'a jamais vu de films ou lus de livres romantiques, pourtant son instinct ne se détrompe pas: elle en a envie, et elle ne souhaite qu'une seule chose, qu'il le fasse. Ou bien lui demande de le faire.
Mais au lieu de ça, il dit alors:

-J'ai quelque chose à te montrer.

A15 sent un pincement dans son ventre.
Ils se relèvent et il lui prend la main pour la guider derrière lui. Il est grand et marche d'un pas vif. Elle, a des petites jambes et ses talons sont toujours un handicap. Elle essaye de trottiner derrière lui en restant debout,  e qui n'est pas chose aisée.
Ils quittent le salon et prennent un couloir, puis un second. A15 se tord alors presque la cheville et se rattrape au mur en lui lâchant la main.

-Tu vas bien?

Elle appuie sur sa cheville, elle a à peine mal. Elle hoche la tête.

-Je suis désolée... ce sont les talons... Je ne comprends pas pourquoi c'est si dur de marcher avec.

Il éclate d'un nouveau rire franc, et avant qu'elle ne comprenne ce qui se passe il passe son bras sous ses jambes et l'autre dans son dos et la soulève du sol. Un de ses escarpins tombe à la renverse et s'effondre sur le sol mais Lui ne semble pas s'en soucier et le laisse derrière eux.
Agrippée à lui, elle admire son profil, sent son odeur, et peut toucher les muscles de ses épaules à travers sa chemise. Des frissons de désirs recouvrent ses jambes mais elle tente de ne rien en laisser paraître.

Finalement ils s'arrêtent devant une double porte et repose A15 sur le sol sans pour autant lâcher sa taille afin de s'assurer qu'elle se manque pas de nouveau de trébucher.
Il pousse la porte et ils entrent ensemble.
A15 découvre des livres. Des centaines, peut-être des milliers. Sur des étagères en bois, du sol au plafond. Elle reste bouche bée, à l'impression de rêver.

-Les livres que je t'ai apporté venaient de ma bibliothèque. A ton départ de l'Usine, je les ai récupérés dans ta cellule et les ai remis ici. Je me suis aussi dit que tu serais heureuse de retrouver ton carnet et tes pastels.

En disant ça, il désigne un petit bureau dans un coin de la pièce, sur lequel est posé le carnet et les outils de dessins.

Cette fois, A15 se moque bien des conséquences. Elle aurait aimé lui sauter au cou pour ne pas lui laisser le choix, mais elle était trop petite et déstabilisée par sa seule chaussure pour faire une telle chose, alors sans plus d'hésitation elle articule clairement:

-Embrassez-moi.

Celle qui n'a pas de nomOù les histoires vivent. Découvrez maintenant