Jour 164 :

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L'ambiance dans l'appartement est détestable. Hel me fait le coup du type qui disparaît après s'être envoyé en l'air à la différence près que Hel vit encore et toujours dans ma tête et qu'elle ne peut me ghoster comme elle le voudrait. Elle choisit la perfection comme excellent moyen de défense contre moi. Elle se montre exemplaire vis à vis de ma personne. Comme une gentille petite dépression bien dressée, elle reprend ses habitudes du premier mois qu'on a passé ensemble. Elle s'occupe de moi, me fait à manger, me fait même un rapide résumé quotidien du journal télévisé qu'elle regarde avec attention chaque matin. Combien de morts aujourd'hui, les températures mondiales inquiétantes, le climat subsaharien. Les humains la fascinent autant qu'ils la dégoûtent. Pour autant, moi, son humaine, comme elle s'est si souvent tuée à me le répéter, ne trouve plus grâce à ses yeux. Elle ne reparle jamais de la nuit envoûtante qu'elle m'a offerte et je ne parviens plus à penser qu'à ça. C'est comme si elle avait laissé son empreinte au creux de ma poitrine, comme si elle avait épinglé sa marque au fer rouge sur ma peau, une lettre écarlate qui dicterait que je lui appartiens. Des images de son corps nu au-dessus de moi tournent en boucle dans ma tête et prennent toute la place. Je me rappelle son sourire bienveillant pourvu d'un zeste d'insolence, son regard inquiet qui ne cesse jamais de caresser ma peau, ses doigts qui enserrent ma gorge sans jamais m'étouffer, un maelström de sensations dont je ne peux plus me défaire.

J'ai aimé ses débordements, la sérénade qu'elle murmure au naufrage imminent. J'ai apprivoisé son instabilité. Sur le fil, l'équilibriste m'a charmé. J'ai envisagé de tomber avec elle dans un filet et voilà que je m'y retrouve à présent seule, prise dans les mailles d'une passion avortée avant même de m'avoir essoufflée. C'était grisant, absolument malsain mais excessivement transcendant de se sentir si vulnérable dans les bras de quelqu'un. Quelque part je me déteste de l'adorer quand j'embrasse l'idée qu'elle pourrait me fendre d'un baiser. Ce qui nous lie survole la notion de bien et de mal, envoie se faire foutre la morale.

C'est son indifférence qui fait le plus mal. Je préfèrerais qu'elle me bouffe si ça rimait avec un peu d'intérêt de sa part. Je rêve de son regard, regrette même ses paroles acerbes, sa langue venimeuse de serpents. J'ai l'impression qu'elle m'a mordue et que je suis minablement dépendante de son poison, que je l'injecte à trop forte dose quitte à y laisser ma peau. Près d'elle, le sang est ennuyeux, devient monnaie d'échange contre un venin au goût de reviens-y.

Avec elle, ça tire dans tous les sens, ça n'a aucune logique. Mon corps ne s'agite que pour son souvenir et reste dans l'attente d'un geste désespérément en retard. Elle pop up en moi, envahit mes rétines, fume mes pensées, surgi dans mon coeur, en fait sa résidence secondaire. Je ne cherche même pas à lutter, je me sais perdante. A ce jeu, elle semble avoir quelques coups d'avance. Le pire, c'est qu'elle n'entame jamais la partie, déclare forfait avant même le coup d'envoi et m'attend pourtant déjà nonchalamment sur la ligne d'arrivée. Son blason porte les couleurs de ma défaite, je sais que je ne suis pas de taille à l'affronter, seulement à lui céder alors qu'elle me laisse dans un coin.

Je sais que je devrais la remercier. Elle fait ça pour mon bien. Je lui en veux, je ne veux pas aller bien. J'ai choisi un chemin qu'elle cherche à m'éviter. Elle sait ce qui est bon pour moi, je sais ce qui m'est néfaste et j'y fonce tête baissée parce que c'est bien le seul chemin que nous pouvons partager. Le fait qu'elle choisisse pour nous deux me met hors de moi.

D'aussi loin que je me souvienne, du moment où j'ai commencé à faire un pas devant l'autre, on a très vite commencé à choisir pour moi. Mes parents sont de la vieille génération, toujours à penser tout savoir mieux que tout le monde, en oubliant que tout ce qu'ils savent au final c'est suivre des règles qu'ils ne comprennent même pas seulement parce que c'est ce qu'ils ont toujours fait. Demandez-moi ensuite pourquoi je fuis la sphère familiale comme la peste...

Le serpent avait l'air gentil.Où les histoires vivent. Découvrez maintenant