Jour 20 :

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Bonjour à tous, 

j'espère que cette nouvelle histoire trouve doucement grâce à vos yeux malgré qu'elle soit si différente de ce que je fais habituellement. Je vous souhaite une belle journée, prenez soin de vous et à vendredi prochain ;) 

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Les jours défilent, une nouvelle semaine s'achève sous les mêmes auspices. Je continue ma vie d'une lenteur rassurante. Mon appartement se transforme peu à peu en dôme de verre, bulle de savon de laquelle je n'ose plus sortir comme si je préférais rester sous cloche. Hel garde sur moi un œil des plus attentifs, surprotecteurs si j'ose dire. Je lui découvre un côté relativement pratique. Elle me fait à manger, range parfois l'appartement, m'accorde le silence quand nécessaire. Force est de constater que sa capacité d'adaptation est remarquable. J'admets que je picore dans les assiettes qu'elle me sert malgré les odeurs alléchantes qui s'en dégagent. Je lui découvre des talents de cuisinière. Qui aurait cru que les dépressions pouvaient ravir un palais ? Dépression, fin cordon bleu qui se heurte à quelqu'un comme moi qui a toujours eu un rapport à la nourriture relativement médiocre. Elle n'en fournit pas moins d'efforts. Comme si elle désirait me plaire, elle se plie à mes moindres désirs avant même que je les énonce. J'en viens à la soupçonner de lire dans mes pensées. Malgré mes tentatives désastreuses pour m'occuper, je ne parviens jamais vraiment à me désintéresser d'elle. En vérité je devrais même avouer qu'elle a toute mon attention. Si seulement elle n'avait que ça... C'est un jeu dangereux, je crois que j'y gagne, du moins pour l'instant.

Je vis essentiellement la nuit. Les ténèbres m'ont toujours été plus doux. Dans le noir, personne ne me devine, je prends les traits d'un prédateur en oubliant que je suis la proie. Durant nos heures nocturnes, parce qu'il est clair que nous partageons à présent le même quotidien, j'ai droit à ses sourires noctambules, sa tendresse terriblement désarmante. On tient nos rôles. On se charme tour à tour, dresseurs de fauves occasionnels. Je crois qu'elle pourrait vêtir tous les costumes que je lui impose, qu'elle irait même jusqu'à les coudre à sa peau si j'en évoquais l'envie. Elle semble en forme, ma peine doit lui suffire. Elle serait bien la seule personne de ce monde à pouvoir se contenter de moi, et quand j'envisage un tel constat, je la soupçonne d'être rassasiée.

Encore une semaine que je ne suis pas sortie, et l'oxygène ne me manque pas. J'apprends à respirer à travers elle. A moi aussi, elle me suffit. Ma boîte mail se remplit à une vitesse fulgurante et cela nourrit mon angoisse. Mon éditeur exige un certain nombre de mots que je suis dans l'incapacité de lui donner. Je n'y peux rien, je suis en rupture de stock et l'idée qu'en devenant écrivain on puisse compter et peser les mots comme des pommes de terre m'écœure. Comment puis-je me raconter quand ma peau m'échappe ?

- Raconte quelqu'un d'autre, dit-elle et je la devine hausser les épaules derrière moi.

Je suis devant la fenêtre de l'appartement, un verre de coca dans une main, une cigarette dans l'autre. Pour elle, j'ai pris l'habitude de fumer à la fenêtre. Je crois que mon appartement la remercie. Je ne suis pas ce qu'on appelle un bon propriétaire. Je laisse mon habitation se gérer seule. S'il existait une association contre les violences faîtes aux maisons, je serais probablement derrière les barreaux. En réalité, je n'utilise peut-être réellement que trois mètres carrés de mon appartement. Les mètres carrés qui comportent mon bureau, mon lit, et mon frigo. A ceux-là, j'ai ajouté celui de la fenêtre grâce à Hel. J'ai besoin d'un toit et d'un ordinateur, je ne suis généralement pas très exigeante. Je suis compliquée en dedans, pas forcément de façon matérielle.

Je tourne la tête et lui jette un œil rehaussé d'un sourcil arqué. Elle est affalée dans le canapé. Une jambe sur la table basse, elle se contente de m'observer, c'est ce qu'elle fait tout le temps si bien que j'ai souvent l'impression d'être un animal de zoo. Comme quoi... la cage semble m'être destinée.

- Lis-tu dans mes pensées ?

- Ça te gêne ?

Je réfléchis sincèrement à la question. Le fait qu'elle se permette cette violation de mon intimité m'évite d'avoir à me justifier, m'ampute de dialogue parfois étouffant.

- Je ne sais pas.

- Tu me le diras si tu souhaites que j'arrête ?

- Oui, je te le dirai.

Elle hoche la tête, se satisfait de cette réponse. Un silence passe. Dehors la nuit est épaisse, l'hiver mordant. Pas âme qui vive et tout ça m'apparaît comme une ville fantôme dont je serai la reine. Le coca glisse dans ma gorge, pétille à l'intérieur. Quelle heure est-il ? Impossible à dire, le temps n'a pas d'importance, je le mesure aux nuances sombres que prend le ciel, à l'éclat que reflètent les étoiles.

- As-tu faim ? me demande-t-elle.

- Non, et toi ?

- Non, tu es particulièrement rassasiante, dit-elle en fixant mon dos.

Je souris malgré moi à cette réponse qu'on aurait pu croire inconvenante.

- Est-ce un compliment ?

Elle se fige, je me retourne. Je comprends qu'elle ne capte pas ma question ou du moins qu'elle n'en a pas le début d'une réponse. Les conventions humaines semblent parfois lui faire défaut.

- J'imagine que ça pourrait en être un.

Sa mine indécise me fait rire, elle plisse les yeux. Je remarque que j'ai attisé sa curiosité.

- C'est joli ça, dit-elle comme si soudainement elle découvrait une nouvelle nuance de couleur dans un monde en noir et blanc.

- Quoi ? Mon rire ?

- C'est la première fois que je l'entends, me fait-elle remarquer comme un reproche.

- C'est la première fois que tu es drôle.

- Ce n'est pas dans ma nature, rappelle-t-elle en tournant la tête.

Je crois l'avoir blessé. Mon rire se fane, je suis peinée à cette pensée plus que ce que je ne saurai le dire. Je fronce les sourcils et écrase la cigarette avant de m'approcher du canapé. Je m'assois près d'elle. Dans un geste que je ne prends plus la peine de me refuser, je pose ma tête sur son épaule. Elle me laisse faire puis remet une mèche de mes cheveux derrière mon oreille.

- Je t'avais dit que je n'avais pas faim, dit-elle en même temps qu'elle me pardonne, ma peine est un délice qu'elle ne peut refuser.

Je hausse les épaules pour seule réponse. Je m'en veux de lui avoir fait du mal alors qu'elle ne vit que pour ça. Je ne sais pas vraiment quoi dire. Il est ardu de n'envisager sa vie qu'à travers un concentré d'une seule personne. Soudainement, je crains qu'elle ne m'abandonne. Je ressens le besoin d'être certaine qu'elle voit en moi quelque chose qui vaille la peine qu'elle reste. Quelque part, je veux la combler là où elle ne m'offre que des débris d'affection parce qu'ici elle est tout quand en moi je ne vois rien. Il y fait trop sombre, trop froid, je préfère me concentrer sur elle pour échapper à mon reflet alors que nous sommes sensiblement le même individu. Elle est une lumière au milieu des ténèbres et je comprends trop tard qu'elle est au contraire les ténèbres en personne. Malgré ça, je veux qu'elle continue de m'offrir l'illusion de m'appartenir. Et c'est pourquoi je crains de la blesser, je crève qu'elle puisse me fuir.

Elle soupire douloureusement et je devine qu'elle est une nouvelle fois sur le terrain de guerre qui me chamboule de l'intérieur. Peut-être celui qui m'oppose à elle, et on s'accorde silencieusement pour que, de nous deux, on ne sache qui on veut voir gagner.

- Oh, mon gentil et joli cœur battant... fredonne-t-elle tristement. Ta bonté te perdra. Tu es trop tendre pour ce monde.

- Trop pour toi ?

- Jamais trop pour moi.

Le serpent avait l'air gentil.Où les histoires vivent. Découvrez maintenant