Jour 221 :

199 27 4
                                    


Elle m'attire, m'enflamme et je ne peux strictement rien faire contre ça. Elle est une bacchanale qui me pourchasse, me rattrape, et m'achève à coup de croche-patte sans que je puisse m'échapper. Coup d' tête, balayette et ma gueule qui bouffe la gravier. Hel, et tout ce qui la compose qui m'enserre la gorge. Hel qui me sourit et rien n'existe plus. Lèvres sanguines, incisives qui pourraient fendre ma peau mais qui restent passives, choisissent l'absence, lâches, s'éclipsent avant de mordre. Ne reste que le sourire.

Elle est le paradoxe, le feu qui refuse de brûler. Peut-on se permettre de rejeter sa nature à ce point ? Dissonance, inadéquation, résistance totale à ce qu'elle a toujours été. Un mensonge à elle-même, une promesse en l'air, presque une désobéissance.

Elle me refuse l'accès à ce qu'elle me cache. Alors je l'observe, comme un flic en planque, je ne manque pas de patience, dévore et répertorie ses moindres faits et gestes, me contente de peu. Et je couche tout sur papier. Fouille dans ma mémoire, écrit tout, n'est pas souvent satisfaite, efface tout, recommence. Encore et encore, inlassable jeu d'auteur... C'est une vie, une peau et un squelette que je lui invente, une existence que j'ai seulement le droit de deviner. Je la rêve à ma merci alors qu'elle m'apparaît étoile filante impossible à attraper qui ne prendrait même pas la peine d'exaucer mon vœu. Nébuleuse indéfinissable, je l'imagine éblouissante épinglée à un voile ténébreux alors qu'elle ne s'apparenterait qu'à un trou noir né avant la pitié dévorant tout sur son passage.

Elle s'impose dans ma tête et je sais que je me fais avoir. Ça a le charme d'une voiture volée, on sait que c'est une arnaque mais on y va quand même. Elle me fait penser au genre de mec qui baratinent les filles avec des : Tu es trop bien pour moi, je ne te mérite pas.

Me pense-t-elle stupide pour ne pas repérer à des kilomètres ces stratagèmes branlants d'humains déserteurs ?

Et quand je la vois affalée dans mon canapé avec cet air nonchalant qu'elle aime scotcher à son visage pendant qu'elle lit "de la littérature humaine" comme elle aime l'appeler, les dernières traces de morales s'effritent sous ma peau. Si je dois embrasser un suicide pour lui plaire, alors tant pis, étoile, filante ou pas, je t'attraperai.

Je me lève de mon bureau et fais quelques pas. Je m'arrête près d'elle et la surplombe une seconde. Elle baisse son livre et lève ses yeux noirs sur moi.

- Tu n'écris plus ? demande-t-elle parce qu'elle ne sait pas ce qui l'attend.

- Non, je réponds simplement en levant une jambe pour la passer au-dessus de celle qu'elle a étendue sur la table.

Son regard déborde d'incompréhension et elle reste silencieuse comme si elle craignait de dire une connerie. Sans geste brusque, comme si nous étions tendues tel deux cowboys prudents se faisant face revolvers à la main au milieu du Far West, j'attrape son livre et le pose délicatement sur la table basse sans jamais cesser de la regarder.

- Qu'est-ce que tu fais, joli cœur ? souffle-t-elle alors qu'elle commence à s'en douter.

Pour réponse je m'assois lentement à cheval sur ses hanches. Elle ne bouge pas, tentant maladroitement de comprendre mes attentions. J'admets profiter de ses lacunes en matière de connaissance humaine. Je sais qu'elle peine à discerner le désir, qu'elle ne pense qu'à travers la faim et le besoin de se nourrir, que le reste lui est presque étranger. Peu importe, il n'est jamais trop tard pour apprendre. Ma théorie se confirme moins d'une seconde plus tard quand elle murmure :

- J'ai déjà mangé aujourd'hui.

Je pourrai presque en rire tant je la trouve maladroite et attendrissante. Je pourrai même me vexer de son manque d'intérêt mais n'en fais rien, ces derniers mois m'ont appris une certaine indulgence.

- Je sais, mais j'ai envie de toi.

Je la vois rougir et manquer de s'étouffer. C'est joli et ça lui donne une dimension véritablement adorable.

- Comme ça, gratuitement ? demande-t-elle en fronçant les sourcils.

Elle me regarde comme si j'étais un dealer de drogue en train de lui proposer de la cocaïne coupée à de la farine au coin d'une ruelle. Je ne peux m'empêcher de rire plus longtemps en caressant sa joue, espérant que ça suffise à ne pas la froisser.

- Il n'y a pas de piège, Hel.

- Quel est le but ? demande-t-elle, toujours méfiante.

- Il n'y en a pas.

- Il en faut toujours un, déclare-t-elle.

- Je veux seulement que tu trembles dans mes bras parce que ma main serait entre tes jambes, je précise parce que je sais qu'il est essentiel que je parle son langage.

Elle rougit furieusement cette fois et détourne le regard comme si elle était prise en faute, criminelle en flagrant délit de trafic de sentiment. Pour autant, malgré qu'elle feinte l'envie, peut-être l'obligation de me repousser parce que c'est ce que lui dicte sa conscience, ses mains reposent comme par réflexe sur mes hanches.

- Oui, j'ai compris, assure-t-elle, peut-être légèrement agacée. Mais qu'est-ce qui t'anime ?

- Hel... je soupire. Faut-il vraiment une raison ?

- Mais bien sûr ! crie-t-elle soudain mais je ne recule pas pour autant parce que je sais que c'est là sa manière de me montrer qu'elle ne comprend pas ce qu'elle ressent.

Je laisse un silence passer, espérant secrètement qu'il la calme, puis glisse mes paumes le long de sa nuque, entremêle mes doigts à ses cheveux. Elle me fixe, cherche désespérément une réponse dans mes yeux. Je devine que quand on gratte la couche élégiaque de sa personne, il lui prend un vertige de ne savoir que dire.

- Et toi alors ? Pourquoi as-tu envie de me manger ?

- Parce que j'ai faim et que tu es à mon goût, dit-elle en haussant les épaules et j'aurai pu prévoir sa réponse.

- Alors pourquoi t'y refuses-tu sans cesse ?

Elle se fige. Et comme si elle se changeait en statut de verre, je vois tout à travers. Je lui souris tristement parce que je sais à cet instant qu'elle comprend, que comme moi ça la prend sans prévenir. En moi, en ce que j'ai déjà ressenti pour elle, elle trouve un écho et ça lui fait tout drôle. Je sais que l'on vit l'un de ces instants rares et sublimes où les mots sont de trop et où l'être humain voit son reflet en l'autre. Pour la première fois, elle voit tout à fait de quoi je parle même si elle ne parvient pas à mettre un nom dessus. Alors je caresse simplement sa joue de mon pouce et déclare :

- Bah voilà, j'ai envie de toi exactement pour les mêmes raisons.

Et parce qu'elle comprend aussi que ça la dépasse, qu'elle n'est plus assez forte ou alors qu'elle se rend faible pour me plaire, elle se tait et m'embrasse. Ce baiser est amer, elle s'y brise un peu, s'y perd sans doute et me retrouve en fin de compte.

Le serpent avait l'air gentil.Où les histoires vivent. Découvrez maintenant