18. PROVOCATION

2.4K 79 85
                                    

EDEN

Le nuage de fumée dans cette salle de bain ressemble à un cocon dans lequel j'aimerais me blottir un long moment. Les gouttes d'eau gisant du pommeau sont tellement brûlantes que ma peau en devient rouge. C'est tellement bon et expiatoire. Le mal physique libère celui que l'on ressent intérieurement.

Ma mère a le don pour me mettre dans l'embarras, mais c'est le rôle que chaque maman endosse fièrement de génération en génération.

Je ne suis pas parfaite et j'ai fait beaucoup d'erreurs dans le passé, mais elle ne m'a jamais laissé tomber. Cette boule dans la gorge qui m'empêche de lui prouver mon amour est un calvaire. Comment un "je t'aime" peut-être aussi dur à prononcer.

Je le dis souvent à Sam pourtant, avant de lui lancer un connard.

Ça minimise la chose... En terme générale, c'est montrer une vulnérabilité que de dire un tel mot. Je n'aime pas ça. 

Mes yeux se posent sur mes jambes que je n'ai pas rasées depuis des lustres. L'équivalent de trois pulls pourrait être tricoté. Généralement, je n'en ai que faire de mes poils corporels, mais aujourd'hui je compte bien prendre tout mon temps.

Plus je passe de temps avec Pietro et plus la soudaine envie de m'adoucir traverse mon esprit mais je n'arrive pas à en cerner le fond.

Cet esprit contradictoire est pesant. Dans le groupe j'ai cerné à peu près tout le monde. Même si chacun d'eux est encore caché sous une part de mystère, je sais à quoi m'en tenir. Ici, avec le monstre, rien n'est sûr.

Je vais choisir le canapé et dire à maman qu'il ronfle comme un pompier quand elle ira dans la cuisine se chercher une bouteille d'eau où un truc à grignoter en plein milieu de la nuit. Encore une chose qui prouve que Sabina Davis est bien ma mère.

En sortant de la douche, l'air froid qui contraste avec ma peau chaude me pétrifie sur place. J'enroule une serviette propre directement sur mon corps et essore mes longs cheveux ternes.

— Tu as vécu de meilleurs jours... me dis-je à moi-même, forcé de regarder mon reflet vide dans le miroir au-dessus du lavabo.

C'était exactement là que papa m'avait coupé les cheveux contre mon gré parce que j'étais peut-être trop heureuse selon lui. Ce miroir en a réellement vu de toutes les couleurs. Mes bleus et mon nez cassé, plusieurs fois. Il a fallu que je mime de tomber dans les pommes pour que papa comprenne qu'il me fallait un soin à l'hôpital. Toutes ces blessures ont toujours été un signe de victoire pour moi. Je me prenais de réelle torpille dans la gueule, mais je me relevais toujours.

Malgré tout.

Après avoir attaché mes cheveux dans une natte soignée, j'ouvre la porte de la salle de bain avec précaution. Le couloir du premier étage est vide et l'odeur des brownies est encore infiltrée dans chaque tissu dont regorge la maison, laissant mes narines m'emporter jusqu'à la cuisine pour en reprendre.

C'est plus fort que moi, mon estomac réclame son dû.

Je zieute néanmoins la fenêtre horizontale juste à côté de la porte d'entrée. Pietro est toujours sur la pelouse à faire les cent pas, clope à la main.

Je m'active à prendre ma dose de chocolat avant de monter les escaliers. La porte d'entrée s'ouvre timidement et se referme sans claquer. Il frissonne et étouffe une toux soudaine tandis que je reste figé à la moitié des marches, la bouche pleine et les mains tachées de chocolat.

— C'est ta façon de me donner un cadeau pour Noël ?

Les yeux cloués sur ma silhouette encore en serviette, il frotte ses mains froides par le vent avant de souffler dessus.

PAPILLONOù les histoires vivent. Découvrez maintenant