34. LA TAUPE

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PIETRO

Brooklyn
Même jour...
11 am.

— C'est la première fois que je ne te vois pas manger un de mes plats, me dit Anita sous le ton de l'inquiétude.

— Je n'ai pas faim.

L'odeur des cuisses de poulets marinés dans du miel et de l'origan me donne soudainement l'envie de vomir. Pourtant, j'ai toujours raffolé de ce mélange sucré-salé.

Mais aujourd'hui, même la cigarette que j'ai fumée il y a dix minutes n'a plus de goût.

J'ai un spasme sous les yeux d'Anita qui rapproche sa chaise de la mienne. Elle m'indique du doigt le plaid rempli de bouloches sur son canapé, mais je n'ai pas froid.

Ma bouche est sèche par le fait d'avoir trop parlé et de m'être ouvert. J'ai raté le coche et j'ai tout simplement tout perdu en l'espace de quelques minutes.

Mon amitié avec Eric était une bouée de sauvetage que j'ai crevé par mes mensonges. Je me revois lui dire que je ne pourrirais jamais sa sœur et que je resterais loin d'elle.

J'ai toujours su que j'étais une bombe à retardement. Que peu importe les personnes ou la situation, être près de moi a toujours été nocif.

C'est peut-être pour ça que j'ai toujours été seule étant gosse. Ça expliquerait pourquoi Niccolo a toujours préféré la compagnie de Andréa.

Avec moi, tout est compliqué. Tout est un mystère non solvable et je paye le prix de mon silence pesant.

— Tu ne vas pas me dire ce qu'il s'est passé ?

Un encens à l'arôme de coton éveille son salon et embrume mon esprit qui ne cesse de m'inciter à dormir. La première fois que je suis rentré dans sa bibliothèque, mes cernes ont été notre première conversation.

J'avais à peine dix-sept ans.

Avec Anita tout est plus facile. C'est une femme âgée qui ne donne plus de réelle importance à la vie. Ces gamins ont tous déménagé sur la côte west. Ils ne viennent pratiquement plus la voir sous prétexte que des messages tapés à la hâte sur Messenger suffisent pour approvisionner leurs liens.

Anita ne se sert pas de son portable. Elle en a horreur.

— Tu ressembles à un caniche sorti du traiteur. Tes cheveux sous l'eau ce n'est pas une bonne affaire mon grand.

— Merci Anita.

Cette femme est la personne la plus honnête que je connaisse. Aucun filtre ne bouche ses lèvres par peur de vexer son prochain. Aussi, je suis la seule personne qui lui rend visite et qui la considère comme une amie.

Sa main se tend quand elle rigole, essayant d'attraper une de mes mèches, mais elle se rétracte en passant ses doigts sur mes épaules.

— Raconte-moi tout doudou. Tu sais que je n'aime pas ton mutisme.

Elle pince ses lèvres pour éviter de ne pas sourire en lorgnant ma mine blasée. Ses yeux examinent mon visage sous ses lunettes léopard en mangeant une cuisse de poulet.

— Je lui ai avoué mes sentiments aujourd'hui.

Anita lève un sourcil, pressant sa main devant sa bouche. Elle me frappe ensuite en lâchant un cri strident.

— Il t'en a fallu du temps !

Mais elle se rétracte, regardant mon visage vide qui ne partage pas sa joie.

— Son frère lui a dit toute sorte de connerie pas vrai ? J'ai nourri ce petit merdeux... fouteur de merde...

— Il lui a simplement ouvert les yeux, la coupé-je.

PAPILLONOù les histoires vivent. Découvrez maintenant