Chapitre 1

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    Sept ans passèrent depuis que le roux s'était éteint.
    Le soleil descendait avec lenteur dans le ciel aux douces couleurs d'un feu, la brise se leva peu à peu, rafraîchissant l'air. La ville était plutôt calme ce soir ; les rues étaient bercées par la douce quiétude des habitants, qui profitait du temps agréable de la soirée. Quelques commerces, comme les restaurants, les bars et quelques boutiques, étaient toujours ouverts, proposant toujours leurs services –et les habitants en profitaient grandement. Ça-et-là, une odeur de nourriture se mouvait dans les boulevards et les impasses, attirant toujours plus de nouveaux clients ; au contraire, à certains endroits, c'était la douce voix d'une chanteuse, la prouesse musicale d'un musicien ou bien la mélodie sortant d'une radio qui en attirait. Ce fut une belle soirée, sans problème... Enfin, cela aurait pu l'être.
    Les talons de Dazai claquaient sèchement contre le sol du couloir. Il avançait rapidement, faisant voler son long manteau noir derrière lui avec élégance. Il croisa différentes personnes sur son chemin –des exécutifs de la mafia portuaire–, et elles s'inclinèrent toutes avec respect devant son passage. Ses pupilles sombres semblaient être deux billes brunes vides, et un air ennuyé et fatigué était constamment plaqué sur son visage. Pourtant, une certaine prestance se dégageait de lui. Son regard était perçant, et sa démarche, nette.
    Le voyant arriver, l'homme qui se chargeait de garder l'ascenseur appela directement la cabine avant de s'incliner respectueusement devant lui, un petit sourire collé au visage.
    – Monsieur Dazai, le parrain vous attend dans son bureau...
    Dazai le regarda un instant, ne disant aucun mot, avant d'hausser les épaules et d'entrer dans l'ascenseur. Puis, il appuya sur le bouton qui indiquait le dernier étage, et la cabine monta.
   Seul pour une minute, il s'autorisa à soupirer. Il ferma les yeux et desserra légèrement sa cravate noire d'une main afin de respirer un peu plus correctement. Un grand sentiment d'oppression se propagea dans son corps à vitesse grand V alors que les portes d'aciers de l'ascenseur se fermèrent avec lenteur. Enfin, la petite cabine se mit à bouger. Son cœur palpita, ses mains devinrent moites et sa mâchoire se crispa...
    Comme lorsque Chûya mourrait entre ses bras. Même après sept années, Dazai repensait toujours au roux et au dernier regard que lui avait lancé celui-ci. Il n'oublierait jamais non plus ses mains couvertes du sang de son partenaire d'une mission. Encore aujourd'hui, il lui arrivait d'avoir l'horrible sensation d'être sale, totalement couvert de ce liquide rouge. Il en rêvait, ou plutôt il en cauchemardait. Il ne comprenait pas pourquoi ce souvenir le hantait... Chûya n'était aucunement la première personne à perdre la vie face à lui. Et puis, Chûya n'était même pas mort de ses propres mains. Mais tout ceci ne le quittait pas, et il se sentait même coupable.
    Dazai allait souvent sur la tombe de son ancien partenaire, il lui arrivait même de parler seul. il ne comprenait pas réellement pourquoi il faisait tout ça, ni pourquoi il s'accrochait à un mort. Mais une chose était sûre, il ne voulait pas arrêter ses visites au cimetière, c'était étrangement le seul moment où il se sentait lui-même et libre.
    – C'est pas le moment, murmura Dazai pour lui-même tout en serrant les poings.
    Finalement, la cabine s'arrêta, les portes s'ouvrirent et Dazai reprit son air fatigué, plongeant ses mains dans ses poches. Il commença alors à marcher jusqu'à son chef avec nonchalance, faisant comme si de rien n'était, portant ce masque d'indifférence qu'il portait quotidiennement
    Mori se tenait debout face à la grande baie vitrée de son bureau, qui lui laissait voir une très grande partie de la ville qui s'endormait avec lenteur. Il avait les mains dans son dos, et un fin sourire ornait son visage pâle et mince. Ses cheveux d'un noir profond encadrait son visage, créant un gros contraste avec sa peau claire.

    – Dazai, commença l'homme d'une voix calme.
    Le jeune homme s'inclina légèrement et resta silencieux.
    – Je suis content que tu sois venu.
    Mori se tourna vers lui avec un sourire, et Dazai leva les yeux au ciel durant une seconde.
    – Epargnez-moi vos beaux discours... Pourquoi m'avez-vous appelé ?
    Le parrain perdit son sourire et il devint bien plus sérieux. Il fit alors complètement face à Dazai, l'air sévère.
    – Une de nos cargaison vient d'être attaquée. Il me faut une personne de confiance pour enquêter sur ce qui a bien pu se passer.
    Le plus jeune arqua un sourcil ; le sérieux de son chef contrastait énormément avec la simplicité du problème –selon lui. S'agissait-il là que d'une simple cargaison ? Non. Il devait y avoir bien plus que cela, il devait y avoir quelque chose d'extrêmement important dans cette cargaison, sinon il ne l'aurait pas appelé pour si peu. Et comme pour confirmer les pensées du jeune homme, Mori reprit.
    – Cette cargaison transportait un prisonnier. Il devait nous arriver ce matin, et nous devions l'interroger et le tuer.
    Un prisonnier ; Dazai savait que trois de ses collègues de la mafia avaient attrapé un de leurs plus grands ennemis. Alors, il n'eut presque aucun doute sur l'identité de la personne en question...
    – Qui était cette personne, demanda-t-il pour confirmer son raisonnement.
    – Sigma.
    Dazai se crispa un instant en entendant ce nom, il déglutit ; la situation posait grandement problème. Sigma était un jeune homme, dirigeant d'un casino céleste, qui travaillait avec le plus grand ennemi de la mafia –Fyodor Dostoyevsky. Dazai avait essayé d'enquêter sur leur prisonnier, de voir d'où il venait et qui il était réellement... Mais rien. Il n'avait rien trouvé du tout : Sigma semblait être apparu du jour au lendemain. Il n'avait même pas réussi à savoir s'il avait un don, ou non.
    – Tu comprends donc que nous ne pouvons pas nous permettre de le laisser filer, n'est-ce pas, demanda alors le chef avec un regard perçant.
    Dazai lâcha un soupir tout en acquiesçant.
    – Je vais m'occuper de ça, finit-il par dire alors que Mori commençait à sourire grandement.
    – Parfait, rétorqua simplement l'homme.
    Dazai s'inclina à nouveau et, après quelques derniers mots échangés, il quitta le bureau de son chef et alla directement à l'extérieur du grand bâtiment où logeait son organisation.
    Rapidement, il prit une moto et se dirigea vers l'une des routes qui bordaient la ville de Yokohama –plus précisément, une petite route, peu utilisée. Ses cheveux volaient au gré du vent, dégageant son visage de ses mèches brunes. Son visage était quelque peu tiré, les sourcils froncés et la mâchoire serrée. Ses mains étaient crispées sur le véhicule et son souffle se faisait lourd : Dazai avait un mauvais pressentiment sur ce qu'il pourrait découvrir. Il ne faisait aucun doute que Fyodor était derrière cette attaque –qui d'autre pourrait vouloir attraper Sigma ?– pourtant le mafieux ne doutait pas du fait que ce n'était pas le russe qui avait attaqué le fourgon.
    Et, en arrivant à l'endroit où leurs collègues avaient été attaqués, son hypothèse fut confirmée : le camion qui transportait leur prisonnier avait été sorti de la route et un énorme coup –comme un petit cratère– était marqué sur sa face gauche, fumant quelque peu, comme si un géant lui avait donné un coup de poing. La scène fut plutôt impressionnante : sur les cinq membres de la mafia qui étaient présents, seuls deux étaient encore en vie. Concernant les morts, Dazai les regarda avec attention : l'un avait la tête explosé au sol, entouré d'une énorme flaque de sang, un autre avait été envoyé contre le camion, empalé dans le pot d'échappement de celui-ci –qui avait dû être préalablement bougé et relevé par leur attaquant– et enfin, le dernier était tout juste étendu aux pieds de Dazai, un bras arraché de son corps reposait un peu plus loin. Ce n'était définitivement pas Fyodor qui avait fait ça, il ne reconnaissait pas là la méthode de travail de son ennemi. Dazai regarda les corps sans frémir, comme hypnotisé par cette vue des plus désastreuses. Il se sentait happé, appelé par leurs corps déchiquetés et sanglants, et, soudain, une question tourna en boucle dans sa tête : avaient-ils souffert ?
    Il s'accroupit tout juste à côté du corps le plus proche et l'analysa avec attention : la peau, bien que livide et presque bleue, n'avait aucune trace de coup, de coupure, de brûlure ou autre. Dazai n'avait jamais rien vu de tel –c'était comme si le bras de cette personne avait comme décidé de lui-même de se retirer du corps, de s'arracher et d'envoyer sa chair s'envoler un peu plus loin. Ou qu'un force surnaturelle l'avait fait, sans que rien ne touche véritablement le corps de la victime. Dazai ne connaissait aucun pouvoir capable d'une telle chose... Enfin, il n'en avait aucun souvenir en tout cas. Il fronça les sourcils et inspecta rapidement les deux autres corps et le camion : il en vint à la même conclusion. Leur attaquant n'avait touché rien ni personne.
    Finalement, Il se dirigea d'un pas pressé vers les deux seuls survivants, qui se trouvaient sur le bord de la route. Il s'agissait d'un frère et d'une sœur, tous les deux noirauds. La jeune femme soignait son frère avec attention. Ils faisaient tous les deux partis des meilleurs membres de la mafia portuaire –il s'agissait d'ailleurs des deux petits protégés de Dazai.
    – Ryûnosuke, Gin, les appela-t-il.
    Les deux plus jeunes levèrent la tête vers lui à l'entente de sa voix, et Dazai fut frappé par la vision qu'il vit : leurs visages étaient blafards, comme s'ils venaient de voir la mort en personne. Le jeune homme, Ryûnosuke, avait la tempe sanglante et ses paupières menaçaient de se fermer à n'importe quel moment. Quant à sa sœur, ses yeux brillaient de peur et ses mains tremblaient, elles aussi toutes sanguinolentes.
    – Merde, jura Dazai en venant rapidement s'accroupir à côté d'eux. Qu'est-ce qu'il s'est passé ?
    – Un...
    Ryûnosuke n'arriva pas à finir sa phrase, il avait l'air à bout, et Dazai s'en voulait soudain de les avoir laissé partir faire cette mission. Peut-être aurait-il dû les accompagner ? Il aurait pu empêcher ce massacre et Sigma serait toujours entre leurs mains... Malheureusement, il ne pouvait plus rien y faire, ce qui avait été fait était irréversible.
    – On s'est fait attaquer, murmura Gin. Il était... Très puissant. Vraiment très puissant. On ne pouvait rien faire.
    – De qui il s'agissait, s'empressa de demander Dazai.
    – Aucune idée, Gin baissa le regard et une grosse mèche de cheveux cachant soudain son visage. Il portait un chapeau, on ne voyait pas son visage...
    – Même pas un signe distinctif ?
    – Non, Gin dut faire une pause pour prendre son souffle. Il a rapidement fait chavirer le camion et puis les cris des autres ont retenti... On s'est directement fait attaquer, puis il a disparu aussi vite qu'il est apparu... Avec notre prisonnier...
    – Je crois... Je crois qu'il avait des cheveux roux, murmura soudain Ryûnosuke.
    Dazai se pinça les lèvres en réfléchissant : cette situation était des plus problématiques. Il finit par lâcher un soupir et il reporta son regard sur le camion, l'air dubitatif. Un roux avec un chapeau ; Dazai ne put s'empêcher de penser à Chûya –il était persuadé qu'il aurait été magnifique avec un chapeau... Malheureusement Chûya était mort, sept ans plus tôt, dans ses bras. Alors, il ne risquait pas de revenir comme une fleur ! C'était impossible, et cette pensée fit quelque peu souffrir Dazai.
    – Nous devons retrouver notre assaillant. Mais avant tout, je dois vous ramener à la mafia, vous devez être soigné. Et puis, un peu de repos ne vous fera pas de mal, je pense.
    Alors, sans plus de discussion, le plus âgé aida ses camarades à se relever avant de les reconduire à l'immense immeuble de l'organisation criminelle dans laquelle il travaillait depuis de longues et nombreuses années maintenant...

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