Chapitre 3

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    Chûya apporta sa cigarette à ses lèvres et vint inspirer profondément, laissant ainsi la bouffée de fumée lui brûler l'œsophage et les poumons, avant de relever la tête légèrement et, les yeux fermés, il souffla avec une lenteur inouïe cette fumée. Assis sur un bidon d'essence vide, juste à quelques mètres de l'entrée du hangars, il semblait détendu. Ses jambes pendaient dans le vide et son dos était calé contre le mur du grand bâtiment ; enfin, dans sa main gauche, il tenait un livre. Il s'agissait d'un recueil de poèmes français, de Paul Verlaine –et Chûya appréciait grandement les vers qu'il y lisait depuis trois bonnes heures maintenant.
    Après avoir expiré tout son air, il rouvrit les yeux : ses pupilles bleu clair croisèrent alors le regard rougeâtre de son meilleur ami et, bien que surpris de ne pas avoir aperçu l'arrivée de Fyodor, il ne put réprimer un sourire. Il éteignit sa cigarette instinctivement –chose qu'il faisait toujours lorsque l'un de ses camarades venait vers lui.
    – Je peux m'asseoir, demanda alors Fyodor en montrant la place à côté du rouquin.
    – Bien-sûr, rétorqua simplement le jeune homme.
    Alors, Fyodor s'installa à ses côtés et, pendant de longues minutes, le silence régna entre les deux jeunes hommes, qui se voyaient en réalité pour la première fois depuis la veille.
    Le jour précédent, Fyodor avait donné une nouvelle mission au rouquin, qui n'avait pas tarder à l'exécuter : capturer un des membres de la mafia portuaire, ainsi qu'un des détectives de l'agence de détectives armées. En l'espace de vingt-quatre heures, Chûya avait fait cela proprement et avec discrétion : Ryûnosuke Akutagawa et Atsushi Nakajima étaient à présent tous les deux enfermés dans leur planque, et aucun moyen de communication avec l'extérieur ne leur était permis. De ce qu'il savait, à l'instant même, Jonô –l'un de ses camarades, aux cheveux blanc et rouge– était celui en charge de les surveiller. Et Chûya ne doutait pas une seule seconde de son camarade, il savait que les deux prisonniers ne s'enfuiraient pas de sitôt sous la supervision du blanchâtre !
    Sa mission aurait pu se passer sans aucun accroc, sans une once de stresse.. Mais, malheureusement, les choses ne s'étaient pas du tout passées comme prévu. Enfin, oui et non : il avait croisé Dazai Osamu lors de sa capture de Ryûnosuke. Et là était le problème. Depuis qu'il était rentré au hangar, il hantait ses pensées ! Il s'était surpris à penser diverses choses, passant de la surprise de le voir, à sa beauté parfaite. Chûya n'arrivait pas à se le sortir de la tête. Pourtant, il ne l'avait pas clairement vu à cause des fumigènes, mais il n'avait pas pu passer à côté du charme de Dazai, de sa voix suave et remplie de ce il-ne-savait-quoi qui l'avait fait frémir. Il en frissonnait encore. Il n'y avait pas à discuter sur ce point, Dazai était devenu un bel homme. Et il ne pouvait pas non plus nier qu'il en fut tout retourné. Et pendant un instant, il avait même eu l'envie de le voir clairement : de s'approcher, de toucher sa peau lisse de ses doigts et de humer son odeur. Mais la réalité avait vite frappé Chûya, et il s'était enfui. Il ne pouvait pas le revoir, il ne le voulait pas, et il préférait même rester mort à ses yeux ! Qui plus est, Dazai l'avait abandonné alors qu'il était mourant, et pour ça, Chûya lui en voulait, il le haïssait. C'était inutile de retourner vers lui
    Alors, une fois rentré, il avait décidé de se changer les idées et, comme à chaque fois lorsqu'il avait un coup de moue, il avait pris une cigarette et son livre favoris. Et à présent, il se sentait apaisé... Les effets de la nicotine y étaient certainement pour quelque chose, mais il se sentait mieux.
    – Comment tu vas, demanda Fyodor après un temps de silence.
    Il tourna la tête vers lui, un petit sourire collé au visage.
    – Il y a pire, murmura-t-il. Et toi ? Tu étais où ?
    – Je faisais des repérages.
    Chûya fronça les sourcils à l'entente de ces mots : des repérages ? Pourtant, le suite de leur plan se déroulaient ici. Et pour ce qu'il se passera plus tard, ils savaient déjà où aller exactement ! Tout leur plan, afin de détruire la mafia portuaire et l'agence des détectives armée, était écrit entièrement. Alors de quels repérages parlait-il ? Fyodor lui cacherait-il une partie de leur plan ?
    Face à sa mine perdue et pensive, Fyodor se contenta de sourire.
    – Ce soir, on sort, s'écria-t-il. Juste toi et moi !
    – On sort ?
    – Tu vas répéter tout ce que je dis, ou quoi, s'exclama alors Fyodor en riant.
    Le rire de son ami fut contagieux car Chûya se mit lui aussi à rire. La légèreté de cet échange était agréable, si bien que les deux jeunes hommes auraient pu en oublier qu'ils étaient deux terroristes recherchés par l'État japonais, qu'ils avaient kidnappé deux personnes et qu'ils comptaient détruire la vie de plusieurs personnes... Oui, tout ça. Sans compter tout ce qu'il avait déjà fait avant ça.
    – Je t'emmène au bar du soir !

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