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𝙶𝙷𝙾𝚂𝚃
𝙳𝙸𝚇 𝙰𝙽𝚂, 𝙻'𝙾𝚁𝙶𝙰𝙽𝙸𝚂𝙰𝚃𝙸𝙾𝙽
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— Les choses les plus importantes que vous devez retenir, c'est qu'à partir d'aujourd'hui vous n'êtes plus personne. Vous oublierez donc vos noms et prénoms de naissance. La seule chose que l'on attend de vous, c'est que vous meniez à bien les tâches que l'on vous confiera. Aucun échec de votre part ne sera toléré, nous n'avons pas besoin de chiens incompétents. Néanmoins, nous ne sommes pas des monstres, vous serez punis en fonction du degré de votre fiasco, il y a des situations plus critiques que d'autres.
Un silence digne des cathédrales régnait dans nos rangs alors que nous écoutions le monologue qui nous était servi. Le seul son qu'on pouvait entendre, quand plus personne ne parlait, était celui des talons de cette femme qui claquaient contre le sol carrelé. Nous fixions tout droit devant nous, les bras dans le dos. Mais l'atmosphère était étouffante, et même si personne ne bougeait, je pouvais voir les mains de la fille devant moi trembler, tout comme celles de sa voisine de droite. Ce qui n'était pas si surprenant, quel enfant ne serait pas terrorisé en écoutant de tels mots dans une ambiance aussi lugubre. J'avais peur également, je le cachais juste bien. La formatrice tapa deux fois dans ses mains et une porte s'ouvrit dans notre dos pour laisser entrer du monde.
Deux hommes armés en traînaient un troisième, avec un sac sur la tête, pour le placer pile en face de nous. Le morceau de tissu qui masquait ses traits lui fut arraché et nous pûmes contempler sa figure tuméfiée, ensanglantée. La fille devant moi serra un peu plus les poings pour dissimuler ses tremblements grandissants. Je ne prenais pas réellement le temps de retenir les visages de ceux qui m'entouraient. À quoi bon ? Certains ne faisaient pas long feu entre ces murs. Nouer des liens, c'était se créer des souffrances inutiles si votre ami venait à se volatiliser du jour au lendemain. Je le savais par expérience. Peu importe que l'on soit né en ces lieux ou que, comme moi, l'on ait été ramassé dans la rue à un jeune âge. Alors je n'avais aucune idée de si cette blonde était là depuis un certain temps ou si, au contraire, elle nous rejoignait tout juste.
— Maintenant, reprit la femme en tailleur rouge, voyez ce qu'il se passe si vous échouez une tâche capitale.
À peine son dernier mot eut-il quitté sa bouche qu'un coup de feu se fit entendre. Le sang éclaboussa le premier rang avant que le corps ne tombe à terre. Il y eut un long moment de silence et de sidération jusqu'à ce qu'un cri aigu explose cette bulle de mutisme. D'autres dégueulèrent sur le sol à cause de la vue de l'hémoglobine et du cadavre encore chaud. L'odeur ferreuse du liquide écarlate se mêla à celle des rejets de mes « camarades », rendant l'air irrespirable. Moi, j'étais juste sclérosé, le regard écarquillé, et le cœur battant à tout rompre.
CLACK !
La personne qui hurlait un peu plus tôt avait cessé de le faire lorsqu'une cravache de dressage l'atteignit directement au visage. Nous l'observâmes s'écraser sur le sol, dans une flaque de vomi, une main portée à sa joue. Ses doigts se teintaient, petit à petit, de liquide vermeil. Cette image suffit à faire revenir le silence, ceux qui avaient commencé à pleurer étouffaient leurs sanglots comme ils pouvaient. Personne n'avait envie de subir le même traitement que ce garçon.
— S'il y a bien une chose que je déteste, c'est qu'on crie sans une bonne raison de le faire, siffla la femme d'un ton venimeux. Une autre chose que vous allez devoir apprendre, c'est à maîtriser vos émotions et ne pas les laisser vous contrôler.
Cela faisait environ un an que j'étais là et je ne m'étais jamais posé la question de ce qu'on nous faisait vraiment faire ici. J'avais été choyé pour être remis sur pied après voir frôlé la mort dans la rue. J'avais vite compris qu'il se passait des trucs louches à cause des enfants qui disparaissaient, mais je n'imaginais pas que cela puisse être à ce point. À ce moment-là, nous devions tous nous demander ce qu'ils avaient l'intention de faire de nous. Pour ceux, comme moi, qui étaient là depuis un bout de temps, nous avions reçu des cours pour savoir lire et écrire correctement, calculer et avoir de la culture générale. Le tout dans une discipline de fer. Sauf que le garçonnet qui avait été frappé quelques instants auparavant n'en avait, visiblement, pas terminé.
— Allez vous faire foutre ! s'écria-t-il à l'intention de l'adulte en face de nous. Vous êtes des enfoirés !
Cette dernière le fixa en silence en relevant un peu la tête, contemplant le jeune garçon comme s'il ne s'agissait que d'un tas d'ordures. Puis elle soupira et reprit la parole.
— Vous voyez, c'est typiquement le genre de comportement que l'on ne veut pas ici. Je vous ai dit, il y a approximativement une minute que vous deviez vous maîtriser, mais ce petit chien en est incapable. Ce type d'individu n'a aucun avenir et ne nous est donc d'aucune utilité.
À peine sa phrase terminée qu'elle leva une main et un nouveau coup de feu explosa dans la pièce. Le rebelle demeura droit quelques secondes avant de s'écrouler. Le sang s'écoulait du trou dans son crâne alors que ses yeux devenaient vitreux. Personne n'avait crié cette fois, mais quelques-uns des enfants s'étaient urinés dessus à cause de la peur de finir de la même manière que ce petit révolté. Son corps fut ramassé et jeté sur celui de l'autre homme, comme un vieux sac. Nullement ébranlée par ce qu'il venait d'arriver, la femme fit une dernière annonce.
— À partir de demain, vous obtiendrez un programme sur vos futures activités. Je vous conseille donc de bien en prendre connaissance et de vous préparer mentalement. Sur ce, retournez dans vos locaux et en silence je vous prie.
Personne ne chercha à contredire cet ordre et nous nous hâtâmes en dehors de cet endroit qui empestait maintenant la mort. Une fois hors de la pièce, la majorité se précipita en courant pour rejoindre sa chambre et se tenir le plus loin de l'horreur à laquelle nous avions assisté. D'un pas lent, je me rendis dans une des salles de bain communes et m'enfermai dans une cabine de toilettes pour enfin dégobiller. Tout ce que j'avais pu avaler dans la journée termina son périple au fond des chiottes. Je ne savais pas si c'était le dégoût ou de la peur, peut-être un peu des deux, qui me tordait ainsi le ventre. Une fois mon estomac complètement vide, je tirai la chasse et passai mes doigts tremblant dans mes cheveux qui collaient à mon front à cause de la sueur qui y perlait. Plus l'image de ce type, gisant contre le sol, me revenait en mémoire, plus je me sentais fébrile. Au moment de me redresser, j'oscillai et mon dos heurta finalement la porte qui s'ouvrit en grand, me laissant me vautrer à terre.
Je râlai de douleur en roulant sur le côté tandis que je regagnai, tant bien que mal, ma position initiale. Mes jambes étaient secouées par des tremblements alors que j'avais horriblement mal au ventre. Ce fut avec lenteur que je traînais ma petite carcasse jusqu'à la chambre qui était la mienne. Une fois à l'intérieur, je me laissai choir sur le lit avant de m'enrouler dans ma couverture, formant un cocon protecteur. Malheureusement, ce bout de tissu ne pouvait pas me préserver contre mes propres souvenirs. Le bruit de la détonation, l'odeur âcre, l'image du mort et les mots de cette femme cruelle. Mon cerveau d'enfant imaginant qu'ils allaient nous faire comme à cet homme, un trou dans le crâne. Ou alors qu'ils nous donneraient en pâture à des monstres.
J'étais loin de me douter que les monstres, ce serait bientôt nous.
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𝐌𝐲 𝐃𝐞𝐚𝐭𝐡 𝐀𝐝𝐝𝐢𝐜𝐭𝐢𝐨𝐧
RomanceJeune femme de tout juste dix-huit ans, Melinoë est hantée pour le souvenir d'un homme qu'elle a vu assassiner son père onze ans auparavant. Ce fantôme de son passé ressurgira un beau jour pour lui sauver la vie. Un homme mystérieux, sans nom, qu'el...