Étappe 5

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Vendredi 05 Avril

Ecresnne / Chilleurs-aux-Bois / Loury / Maison-Rouge :
28 Kms 260 - (125 Kms 280 )


     D'une façon générale, j'ai en horreur des gens qui se plaignent. Ce n'est pas bon pour le moral de ceux qui les écoutent et je pense ne le faire jamais. Par contre, je suis un râleur né. Le jour où on ne m'entendra plus la ramener, c'est qu'on m'aura arracher la langue. Ceci pour dire que le froid me réveille encore à 04h00 pétante et que dehors, il givre. Je ne sais si j'ai une horloge interne ou si ce n'est qu'un pur hasard, mais oui, il est bien 04h00. Putain ! Il est quatre plombes et je suis à 12 bornes d'une ville. Je n'ai vraiment pas choisi le meilleur endroit pour bivouaquer hier soir, mais c'est comme ça. Je ne vais pas revenir là-dessus. Les réveils dans la nuit, le froid et le vent vont devenir mon quotidien. La faim au ventre, une manie...

     Je suis à douze bornes de Chilleurs-aux-Bois ! Vous parlez d'un nom. En parlant de ça, je ferais bien d'y aller, mais je préfère tout de même le confort des toilettes d'un bar plutôt que la brise de la mère nature sur ce que j'ai de plus intime, me rappelant qu'on est mieux chez soi. Fin de la parenthèse. Donc, à raison de quatre kilomètres / heure, j'y serai vers 07h00. Alors en route mauvaise troupe ;

     " En route mauvaise troupe !
        Partez, mes enfants perdus !
        Ces loisirs vous étaient dus :
        La chimère tend sa croupe..."

     Et me voilà de mémoire à balancer quelques vers de Paul Verlaine. J'aime me souvenir de tirades ou de poème quand je marche. C'est à mon sens une belle façon d'endurer les petits malheurs de la vie et de tromper le temps. En tous cas, cela fonctionne pour moi et c'est à la troisième strophe de ce texe nommé "Prologue" que je croise un rond-point occupé par des gilets jaunes. Ils s'y sont construit une véritable cabane avec des planches et des bâches. Le tout entouré de rubalise de chantier et de pneus. J'aurais bien tapé une petite discute, mais ils dorment tous du sommeil du juste. Seule trace de leur présence, un feu de palette en état de consumation dans un bidon. Eux aussi ont froid, mais ils sont bien organisés. J'espère que leur mouvement ira jusqu'au bout bien que j'en doute parce qu'au regard de l'histoire, les mouvements pacifiques n'ont malheureusement jamais rien remis en question.

     De verlaine je saute sur un passage de Ruy Blas de Victor Hugo et j'arrive enfin sans être trop entamé dans la ville. Je ne me suis pas vraiment aperçu du temps écoulé ni des kilomètres franchis. Cela restera toujours pour moi un des mystères de la marche que de se perdre autant dans ses pensées et de faire abstraction de tout le reste. C'est peut-être ce que l'on éprouve durant un temps de méditation. Sortir de soi et totalement s'oublier. Juste s'en remettre à la vie sans ne rien en attendre et se mettre en communion avec les éléments.

     Je me restaure d'un sandwich au pâté que j'avale au comptoir d'un petit bistrot sans âme. J'y fais remplir mes gourdes et bien que le patron s'essaie à être urbain, j'ai plus envie de déguerpir que de vider un tonneau de pif. Je pars alors faire le plein de provisions dans l'épicerie d'à côté. Un saucisson, de la Tome de Savoie et des sardines à la tomate. Du pain, une boîte de Raviolis et une de Cassoulet que je mangerai froid. Je n'ai pas non plus oublié mes bonbons.

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     J'enchaine lignes droites sur lignes droites au travers des forêts orléanaises. Les routes qui les déchirent comme des coups de fouets pour les pénétrer ont des accotements on ne peut mieux entretenus. Tout du long, l'herbe est rase. Les fossés débroussaillés comme il se doit. Nous sommes à l'époque des travaux de la coupe des arbres et les hommes qui s'en occupent ne feignassent pas. Ca défriche, ça élague et ça tronçonne à tout va. Les grumiers conçus pour le transport des billes de bois s'en vont et viennent comme des insectes et je ne peux qu'être étonné de ce balais inexistant dans ma région.

     J'atteins Loury et pousse jusqu'à Maison-Rouge. En trainant un peu la jambe, c'est vrai, mais là j'ai quand même 27 bornes au compteur. 31 la veille. Les alentours ne sont pas mirobolants pour bivouaquer. Je me fends encore d'un bon kilomètre et aperçois derrière une maison, quelques arbres qui pourraient peut-être me dépanner. Pour y accéder, il me faut franchir ce que je pense être un cours d'eau asséché. Le lit est vraiment très profond, mais je suis bien inspiré parce que l'endroit est idéal. de la route, on le distingue à peine, mais il s'agit d'un tout petit bois tapissé de feuilles mortes. En son centre, une espèce de petite clairière où je plante ma tente. Un petit cigare là-dessus et au pieu.

     Normalement, avec mes poumons je ne devrais plus du tout fumer mais j'adore cela, alors je fais la sourde oreille. De plus, j'ai un cardiologue qui m'a assuré que me faire plaisir de temps en temps ne m'abîmerai pas davantage et j'en fais une parole d'évangile, bien que je sache que c'est un crétin fini. A mon stade, c'est une parole de criminel. Sûrement doit-il lui-même fumer pour sortir de pareilles âneries mais pour le moment cela m'arrange. Je changerai mon fusil d'épaule et de médecin par la même occasion à mon retour.

     Je me mets à l'aise, dénoue mes souliers et... Et il y a un truc qui pue dans les parages. Ce qui d'abord est comme une effluve me revient dans les narines comme un fumet pourrit... Non, ce n'est pas ça... C'est musqué... Oui, ça sent le musc. Je sais ce dont il s'agit. C'est une bête qui a marqué son territoire. J'en suis sûr mais je m'en fiche. Je ne vais pas bouger. Je suis trop claqué, et puis à dix kilomètres d'Orléans qu'est-ce que je risque ? Qu'un fauve vienne me débusquer ? Au pire, j'aurai peut-être un renard qui viendra renifler mes godillots...

     Je m'adosse donc contre mon sac à dos qui repose sur le tronc d'un arbre et débute mon festin, tout en détaillant mon itinéraire de demain sur une carte. Il y a bien longtemps que je ne suis plus sur un G.R et je vais encore devoir marcher sur de la départementale. Tant-pis... La chance me fera peut-être tomber dessus.

     Aujourd'hui, je n'ai parlé à personne si ce n'est pour commander un café ou payer mes courses. Rien de plus qu'un bonjour et un merci. cela ne me dérange pas et d'ailleurs chez moi, il peut m'arriver de ne pas sortir durant une semaine entière sans m'en apercevoir. En véritable casanier, j'y suis bien et ne sais ce qu'est l'ennui. Ma petite famille suffit amplement à faire mon bonheur et je n'en demande pas davantage. Depuis que je suis parti, je prends chaque jour de leurs nouvelles et comme ils vont bien, je vais bien aussi.

Au bout du chemin : Compostelle Où les histoires vivent. Découvrez maintenant