Étape 17

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Mercredi 17 Avril

Lusignan / Saint-Sauvant / Chenay :
28 kms 970 - (451 kms 880)


     J'ai dormi enroulé dans la couverture de survie et c'est en remballant que je prends acte de la catastrophe. Vous allez me dire que je les cumule et vous aurez raison mais cela ne m'aidera pas. je remarque donc que j'ai les fesses à l'air. Ce n'est pas bien grave en soi, si ce n'est que tout le fondement de mon pantalon est déchiré et comme je n'en ai amené que deux, un sur moi, l'autre dans mon sac, ça va faire un peu léger pour arriver à Compostelle dans un état acceptable. Une epèce de clodo bien crado et puant...

     Bref, habituellement je marche 8 à 10 kms avant de dégoter un café ouvert le matin et là, j'ai tout à 500 mètres de chez Bara :  Un bar tabac faisant de la presse. Il est 06h30. J'y reste environ une heure et me mets en route pour Lusignan ;  La patrie qui a donné à la fin de la première croisade, les rois de Jérusalem, de Chypre et d'Aménie. C'est aussi le berceau de la légende de la fée Mélusine. Celle dont la propre mère, la fée Pressine, frappa de malédiction pour avoir offensé son père Elinas, roi d'Albanie. Mélusine qui devint la femme à la queue de serpent.

     En chemin, je croise Bernard. Il a repris Compostelle à l'endroit où il a dû s'arrêter l'an dernier pour blessure. D'entrée, je flaire le marcheur solitaire ce qui me va très bien. On prend des nouvelles l'un de l'autre par politesse et il repart.

     La blessure... Voilà bien ma hantise. Aussi, je redouble de vigilance quand je suis sur des terrain herbeux, de peur qu'un trou s'y cache. Il en va de même pour les chemins caillouteux parce qu'on a vite fait de se tordre une cheville. S'il m'arrive quoique ce soit et j'y pense, je sais que je ne reviendrai pas une fois rétabli. Je resterai sur cet échèc...

-2-

     Je traverse mes première cours de ferme que surveillent de blancs moutons. Les glycines en fleurs ruissellent sur certains bâtiments et je m'en régale. Lorsqu'on arrive à Lusignan, on ne peut rater sa grande halle qui trône dans le quartier historique. 33 mètres sur 16. Elle est paraît-il, un des derniers exemples de marchés couverts de facture traditionnelles dont les quatre coins sont de lourds piliers de pierre.

     Ce village de Nouvelle-Aquitaine n'est pas bien grand. A peine 3000 habitants mais pour le visiter, il va vous falloir des mollets en béton, des jarrets de fer et un talon d'Achille incassable parce que ça grimpe fort. ce n'est pas pour rien que Lusignan domine la vallée de la Vonne qui est une rivière. Ca grimpe à vous couper le souffle mais c'est vraiment beau. de là, deux choix s'offrent à moi ; Le chemin qui me rallonge la promenade de 4 kilomètres ou la départtementale. j'opte pour la première option en remerciant les Dieux de m'avoir fait faire le plein de mes gourdes parce qu'il n'y a rien sur une vingtaine de kilomètres. A part deux ou trois hameaux c'est le désert de Gobi.

     Bien m'en a pris et je rencontre mes premières biquettes. Un troupeau d'une cinquantaine de têtes. Toutes marrons. Toutes mignonnes et curieuses. Je ne sais pas d'où me vient l'amour des chèvres mais d'aussi loin que je me le rappelle, je les ai toujours adorées et c'est à trois kilomètres de Chenay que je décide de mettre pied à terre. 28 bornes, c'est bien suffisant pour aujourd'hui.

     Je sais que je ne devrais pas, que c'est incorrect au possible mais je n'ai pas d'autres altérnatives que de me poser à l'entrée de ce champ ou alors marcher encore, et mes godasses sont déjà dans le rouge.

     Etre dans un champ c'est être chez quelqu'un, qu'il soit ou non cloturé et cela ne se fait pas. C'est comme si je m'installais dans son jardin mais pour cette fois, tant-pis. Je m'occupe à faire sécher toile de tente et couverture de survie qui ont bien macérées toute la journée avant d'ancrer le bivouac, quand un tracteur est en approche. Ni une, ni deux, je vais à sa rencontre m'excuser de l'intrusion. sans descendre de sa machine, le fermier me tend une main franche et râpeuse d'un travail nourrissant la France.

     - y va où ?
     - Compostelle !

     Je suis obligé d'hausser la voix pour couvrir le dièsel qui tourne comme une horloge.

     - J'ai mon voisin qui y est parti la semaine dernière. ce n'est pas une mince affaire votre machin. Et y vient d'où comme ça ?
     - De Paris. Je peux installer ma tente ici pour ce soir ?
     - Bien sûr qu'il peut... Il est parti quel jour de chez lui ?
     - Le 1er Avril. Ca fait 17 jours que je marche.

     Nous voilà à papoter pendant que je m'installe. A papoter davantage que je n'en ai envie parce que je suis rincé de fatigue mais je ne veux pas être désobligeant. Je relance même parfois la conversation pour lui être agréable alors que j'aimerais tellement m'allonger. Il m'étale toute sa science de marcheur et je peux vous dire qu'il en connait un rayon. Il a tout appris avec son voisin. Au fil de notre parlotte, je lis dans ses yeux le regret de ne pouvoir mettre de côté quelques temps son boulot de céréalier et de prendre aussi un sac à dos. Il en brûle d'envie. Je le sens. Ca ne m'étonnerait pas qu'on le croise quelque part, un de ces quatre matins...

Au bout du chemin : Compostelle Où les histoires vivent. Découvrez maintenant