Étape 25

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Jeudi 25 Avril

Belluire / Saint-genis-de-Saintonge/ Plassac / La-Bergerie / Mirambeau :
25 kms 520 - (641 kms 230)

    

     Tout est encore trempé et la pluie crachote toujours quand je replie le camp mais j'ai passé une très bonne nuit. Ca bouillasse tellement que je renonce à marcher sur les chemins et préfère emprunter les départementales. Je ne me vois pas en effet patauger ici et là et me dégueulasser davantage que je ne le suis déjà. L'intérieur de mes chaussures dégorgent de flotte. Mon pantalon dégouline d'eau sur mes jambes mais je garde le moral qu'il faut.

     C'est jour de marché à Saint-Genis-de-Saintonge et je profite d'une accalmie pour casser une petite graine sur un banc juste en face de quelques forains. C'est un métier que j'ai moi-même fait dans une autre vie. Je faisais dans le linge de table. j'adorais ça. J'aimais haranguer la ménagère et attirer son regard sur mes toiles cirées. J'en avais aussi en tissus "anti-tâches". Des rondes, des rectangles et des carrés. Je leur présentais serviettes, torchons et tabliers. Je leur déballais maniques et set de table. J'adorais brailler au milieu des rabouins qui eux transbahutaient vaisselles et gamelles. Literies et chaises de paille. J'étais ravi de voir tous ces parasols ouverts éclatés de cents couleurs dans les cieux, comme autant de fleurs courir dans des champs de tulipes...

     L'affûteur d'outils vient me faire la conversation. je n'ai pas grand chose à lui dire mais je m'interesse à son métier. En région parisienne, il n'y en a plus beaucoup mais qui en a besoin dans les milieux urbains ? Plus qu'on ne pourrait l'imaginer mais c'est un métier qui se perd.

     Je le quitte sans façon après avoir mangé un pain aux raisins. Après que le ciel ne se mette à gronder et rugir comme s'il souffrait de quelques maux. Qui peut croire qu'il reste encore de quoi pleuvoir dans le sud-ouest et pourtant, aux quatre points cardinaux ce n'est que grisaille et noirceur. Les nuages se déplacent en bandes comme des escadrilles de canadairs inondant le département. La pluie ne dégringole pas. Elle torpille là où elle s'abat. Cingle les gens sur son passage. je suis complètement à découvert et le seuil de l'église du village de Plassac ne peut rien pour moi. Il n'y a pas de haut-vent. Aucun renfoncement où m'abriter. Cette fois, Dieu ne me sera d'aucun secours. j'ai beau balayer la rue des yeux, il...

     Si ! Il y a qelque chose ressemblant à un abribus. Je ne réfléchis pas. De toute façon je n'ai pas matière à cela et comme dans une mission suicide, je me jette sous le feu des gouttes tel un kamikaze n'ayant plus grand chose à espèrer. La route est dégagé de tout véhicule ce qui me permet de pouvoir me ruer de l'autre côté sans avoir slalomer entre deux autos. Je suis un quaterback. Celui qui ouvre les brèches. Celui qui enfièvre le super bowl et met tout le monde d'accord.

     Mes jambes ne me trahissent pas et me voilà en sécurité dans cet abri en pierre. Si le ciel grondait il y a cinq minutes, il est maintenant en rage. Les éclaires électrisent la ville entière comme pour prévenir les habitants que plus personne ne passera en dessous sans représailles. Les nuagent se lézardent sous l'assaut des canons assourdissant tout à la ronde, puis cédent pour laisser vomir des flots de grêle. On n'y voit pas à dix mètres. C'est un baroud d'honneur qui se déchaîne et la pluie revient. Celle des pays tropicaux au temps de la mousson. La chaussée s'innonde. Les canniveaux refluent. On ne différentie plus la route des trottoirs. Sur leur passage, les voitures éclaboussent tout ce qu'elles peuvent.

     Je n'en reviens pas de tant de violence. Je peine à m'en remettre et en même temps suis heureux d'avoir pu me mettre au sec quand une semi-remorque arrive à pleine vitesse. Je sais maintenant ce qu'est un tsunami qu'on prend en pleine face. je me tenais trop près du bord et reçois la lame comme une gifle envoyée par un Lino Ventura excédé...

     Dix minutes plus tard il n'est plus question de rien, à croire que cela n'a jamais existé. la lumière du jour revient aussi rapidement qu'elle était partie. Le chant des oiseaux fait son retour et c'est la vie qui reprend son cours. Je ne demande pas non plus mon reste et renquille sur la départementale en direction de Mirambeau.

     Tout cela m'a éprouvé et je suis dans le dur. je force tout ce que je peux et c'est difficile. J'essaie de m'encourager. Je me mens. A chaque virage je me dis : "Allez, après celui-ci tu campes" et quand j'y suis, je me promets que ce sera au prochain. Il en est ainsi jusqu'à l'entrée de Mirambeau où je mets pied à terre. Pas bien loin de quelques vignes. Je n'en peux plus. j'en ai marre...

Au bout du chemin : Compostelle Où les histoires vivent. Découvrez maintenant