Étape 23

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Mardi 23 Avril

Juicq / Le-Douhet / Foncouverte / Sainte :
21 kms 120 - (591 kms 230)


     Sauf erreur de ma part, j'ai une vingtaine de bornes à faire avant Sainte, soit environ cinq heures de marches et à moi la bouffe mais pour le moment, je chasse ces idées de ma tête et essaie de positiver. Le ciel est gorgé d'eau et je ne serais pas étonné qu'il se mette à pleuvoir bientôt.

     personne ne me voit passer dans Juicq qui n'est pas peuplé de plus de 300 âmes. Trois kilomètres plus loin, Le Douhet n'est pas plus animé mais au sortir d'un virage, j'aperçois la carotte d'un tabac. Je n'en reviens pas. Je me fais l'impression d'être le capitaine Haddock dans " Le crabe aux pinces d'or " quand il fantasme sur des oasis dans le désert et plus j'avance, plus elle se matérialise. Il y a même une terrasse de sortie devant l'établissement. Les chaises sont posées sur les tables, les parasols en bernes mais il est encore bien tôt. Peut-être n'est-ce pas encore ouvert.

     Le troquet est effectivement fermé. Une pancarte sur la porte d'entrée m'éclaire sur les horraires et par chance, je n'ai que vingt minutes à patienter. La délivrance est là, à portée de main.

     Je peux me délester de mon sac à dos et comme si j'étais chez moi, m'installe à une table. Je suis leur premier client de la semaine. Un bon client qui fera bombance jusqu'à s'éclater la panse. J'espère pouvoir me faire servir du salé. Un beefsteak serait le top. Même sans accompagnement. Je m'en fiche des légumes. Un bout de pain pour saucer m'ira très bien mais oui, de la viande serait le Nirvana. Même s'il n'y a rien en cuisine, pas de reste de la veille, ce type de bistrot a toujours un bout de barbaque dans l'un des frigos. Je suis même prêt à envoyer un billet en plus, prêt à le cuisiner moi-même mais il va falloir nourrir la bête.

     Pour faire diversion sur ma patience qui ne cesse de me sonner les cloches, je fais quelques pas autour du café. Je lis les publicités collées sur la devanture, relis les heures d'ouverture et descends plus bas sur les mentions de fermetures pour découvrir qu'ils sont fermés le Mardi. Là tout de suite, j'ai besoin d'un cigare parce que nous sommes Mardi...

     Vous prenez une pierre que vous lancez dans une flaque d'eau. Ca tourbillonne, fait des ronds puis tout revient au calme plat. C'est exactement ce qu'il se passe dans mon cerveau. L'écho du tocsin jusqu'au silence total.

     Cela ne me met pas en rage. Je n'ai pas envie de crier, pas envie de pleurer ni même envie de jurer. Je ne suis même plus ici parce que je suis juste Knock-out avant de toucher le sol. Je n'entends pas l'arbitre me compter. Je m'aperçois seulement que de grosses gouttes de pluie de plus en plus fréquentes s'écrasent par terre mais je me reprends. Je m'en fous. On ne peut plus rien me faire. Plus rien ne peut m'atteindre. Je ne remonte même pas ma capuche. Je ne cherche même pas à me protéger et je file kilomètre après kilomètre en snobant les averses.

     A l'entrée d'un bois, je croise une femme et deux hommes. ce sont des baliseurs qui refont le marquage pour Compostelle. Nous échangeons sur quelques kilomètres puis je les distance.

-2-

     J'arrive à Saintes à 14h10. Je ne me dis même pas enfin parce que je ne réalise pas et m'assois sous le haut-vent d'un restaurant Kebab. la pluie redouble ses attaques mais je n'ai pas envie de rentrer à l'intérieur. Je me sens mieux dehors. Je récure une première assiette Grecque. En redemande une deuxième sans boulgour que j'assimile à de la bouffe à cochon mais avec plus de frites. Le patron ne sourcille pas. Tant que le tiroir-caisse se rempli, il fait les assiettes qu'on lui demande. Par contre, le gars qui se trouve juste à la table d'à côté semble tiquer sur mon appétit. Il a un petit sourire en coin en reluquant mon frichti qui en dit plus long que des mots.Je me rends compte alors que je me goinfre et cela me fait sourire également :

     - Je vous rassure, je suis en mesure de tout payer. Je ne vais pas vous demander de mettre la main à la poche...
     - J'espère bien parce que j'ai juste de quoi régler ma bière. On n'a pas besoin d'être deux à faire la plonge.

     Dix minutes plus tard, mon Daniel et moi refaisons le monde. Il est artiste peintre. Aussi commode que votre serviteur mais pas plus mauvais. J'aime ces hommes...

     Le patron est obligé de nous congédier parce qu'on en a oublié l'heure et qu'il doit fermer son bouclard. La pluie nous empêche de nous attarder sur le parvis aussi, nous nous quittons sur une franche poignée de main.

-3-

     J'ai le ventre plein comme un oeuf et sais par avance que je ne vais pas pouvoir enquiller beaucoup plus de kilomètres. La curiosité me pousse tout de même jusqu'à la Basilique Saint-Eutrope qui fut un martyr. Premier évêque évangilisateur de la région. La flèche de cette Basilique fut construite grâce à une donation de Louis XI. Elle culmine à 80 mètres. Accoté à l'édifice, je découvre qu'il existe un refuge pour pèlerins et comme de violents orages sont annoncés, je ne demande pas mon reste et entre.

     L'hospitalière du jour est Lucille. Un petit bout femme qui n'a pas trente ans et me reçoit comme si j'étais Jésus.

     - Je ne sais pas comment cela se passe mais j'aimerais rester dormir.
     - Oui, vous pouvez. Nous n'attendons personne ce soir et vous serez donc seul.

     Elle m'explique comment cela fonctionne, ce à quoi j'ai droit et je paie ma nuitée. C'est un peu de ma maison que je retrouve grâce aux bons soins de cette jeune fille. Je serai aux petits oignons. Vraiment. je suis dans une espèce de petite chapelle dans laquelle se dressent trois lits superposés offrant six couchages. A l'opposé, un cuisine où trône une table. A l'écart dans une autre petite pièce, une salle de bain. Je peux piocher dans ce que je veux. Le café, le thé ou les boîtes de conserve. Il y a de quoi faire des pâtes ou du riz. Je n'aurai qu'à laisser ce que je veux dans une tirelire et si ce n'est rien, c'est sans importance. Pendant qu'elle m'informe de toutes ces consignes, dehors s'abat le déluge. Ca tombe par trombe et je n'ose imaginer ce qu'aurait été ma nuit dans ma tente.

     Arrive un jeune homme d'une vingtaine d'années accompagné de son père. Ils souhaitent juste rencontrer des pèlerins. Cette demande m'amuse quelques peu. C'est comme s'ils demandaient à voir des gladiateurs s'apprêtant à fouler le sable du cirque.

     Le fils souhaite partir à Compostelle le mois prochain et le père s'inquiète pour sa sécurité. ce dernier cherche tous les renseignements possibles alors bien sûr, nous faisons notre maximum pour le rassurer mais l'inquiètude d'un parent est bien légitime. En tous cas, ils repartent avec le sourire.

Au bout du chemin : Compostelle Où les histoires vivent. Découvrez maintenant