Étape 34

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Samedi 04 Mai

Labouheyre / Bilot / Escource / 4 kms 500 avant Mezos :
31 kms 390 - (866 kms 100)


     J'ai de plus en plus de mal à me lever le matin. Le froid et l'humidité sont toujours de la partie et cela me demande beaucoup d'efforts. Souvent, je remballe ma toile de tente encore humide dans un sac en plastique que je cale au fond de mon sac à dos. En fin d'étape, je l'étale au sol et généralement quinze ou vingt minutes plus tard, je peux l'installer bien sèche. heureusement, les toiles ne sont plus dans les mêmes tissus qu'avant et c'est très rarement que je suis obligé de m'y engouffrer alors qu'elle est encore mouillée.

     Lorsque je n'ai pas de poubelle pour jeter mes déchets, je les stocke dans un pochon jusqu'à ce que je dégotte une boîte ou une corbeille à ordures. Là, je suis devant une enfilade de bennes et pour ne pas avoir à ouvrir un container avec les mains, je m'aide avec l'un de mes bâtons de marche ce qui est une très mauvaise idée puisqu'il se casse en deux...

     Sans exagérer, je suis catastrophé. Je ne sais pas marcher sans sur de longues distances. rappelez-vous, je me suis entraîné de cette façon, m'y suis habitué et m'en priver, c'est réellement m'handicaper. Je parcours les 4 kms qui me distancent de Labouheyre et y arrive comme un cheval boiteux à qui il manque un fer. Mon corps s'en ressent déséquilibré et c'est comme si on avait ajouté une charge suplémentaire dans mon sac. Je me doute bien que je ne vais pas tomber ici sur un magasin de sport pour le remplacer mais peut-être un droguiste chez qui acheter faute de mieux, un manche à balais. S'il n'y en a pas non plus, je suis prêt à frapper chez quelqu'un afin qu'il me vende n'importe quoi. Un manche de râteau, celui d'une bêche mais putain, qu'on me dépanne...

     ... Et c'est au détour d'une courbe que j'aperçois un beau taillis de Bambous n'attendant que moi. Il y en a de toutes les tailles. Des fins, des moyens et des gros. Je connais bien cette espèce dont les chaumes ont la particularité de sortir vert puis de noircir dès la troisième année de pousse. Si on veut se la raconter chez les bobos, on l'appelera le "Phyllostacys Nigra". Mon opinel est plus simple et s'en donne à coeur joie en me taillant un bâton à la mesure de mes espèrances. Il est parfaitement à ma main. Voilà comment est la nature. A qui sait observer, elle offre ce qu'elle peut à qui en a besoin.

     Je fête cette fortune en m'offrant deux cafés l'un derrière l'autre sur une terrasse et chose étonnante, je m'aperçois que nous sommes plusieurs pèlerins à être dans cette même ville. Je ne suis pas habitué à en voir autant en même temps mais il est vrai qu'on avance dans la saison des départs pour Compostelle. Sans oublier que plus je m'en approcherai, plus j'en croiserai.

-2-

     La première pèlerine à qui je souris me fuit comme si j'étais Guy Georges. Une autre un peu plus loin accompagnée d'un chien est plus sociable. Elle s'appelle Stacey et de suite me demande si je veux bien cheminer à ses côtés jusqu'à escource, la ville suivante se situant à 12 kilomètres. Je ne suis pas bien chaud. Je n'ai pas envie d'être à deux, alors je lui déballe une connerie qui ne l'offusque nullement et je repars.

     Elle doit marcher à reculons parce que sans le vouloir, je la rattrape avant la sortie de la ville. On repapote et je reviens sur sa demande en lui avouant que j'ai un poumon jouant au con mais si elle ne se met pas à courir, on peut y aller ensemble. Elle est parfaite et m'attend avec le sourire à chaque fois que j'ai besoin de souffler un peu ou beaucoup.

     Satcey est australienne. Je n'ai pas vraiment compris ce qu'elle fait exactement dans la vie, mais elle voyage beaucoup grâce à l'association dans laquelle elle trime. Elle revient du Pakistan où elle a passé plusieurs mois et suite à une peine de coeur née d'un homme qui tenait aux traditions de son pays et à la façon dont on s'y occupe des femmes, elle a dû s'enfuir. Elle ne doit son salut qu'à une retraite précipitée et l'âme en peine, elle est venue en france se faire consoler chez sa meilleures amie. On lui a parlé du chemin de saint-Jacques et c'est ainsi que nous y sommes tous les deux.

     Question bavardage, Stacey est championne du monde. Elle est intarissable et je ne vois pas le temps passé. C'est une petite rigolote d'à peine quarante ans. Une jolie brune qui ne devrait pas rester célibataire bien longtemps tant elle est douce et gentille.

     A Escource, nous poussons 4 bornes plus loin jusqu'à ce que nos routes divergent parce qu'elle a coché un autre itinéraire que le mien. Elle souhaite continuer sur la voie de Tour. Moi, sur le chemin du littoral qui comme son nom l'indique longe l'océan. Elle aussi bivouaque parce qu'avec son chien c'est plus facile. Nous prenons encore le temps de manger ensemble... Ou plutôt non. Elle attend que je finisse de prendre une collation parce qu'elle trouve triste de manger seul. Elle, elle n'a pas faim. Pour dessert, je sors un cigare.

     - C'est long à fumer ? Me demande-t-elle.
     - oui, ça peut mais je ne vais en fumer que la moitié pour ne pas que l'on perde trop de temps.
     - Non ça va. On n'est pressé de rien.

     Nous échangeons encore nos coordonnées et alors que j'éteins mon cigare pour le ranger dans sa boîte, elle me sourit ;

     - je ne pensais pas que tu l'éteindrais mais que tu le fumerais plutôt en entier.
     - Oui, mais c'est ce que je t'avais dit.
     - C'est rare qu'un homme le fasse.
     - Je ne fais rien d'autre que ce que je promets. je suis comme ça.

     Nous nous quittons très bons amis. J'ai vraiment apprécié sa compagnie et pour tout dire, je ne suis pas certain que sans elle j'aurais avalé tous ces kilomètres. Il recommence maintenant à pleuvoir dru et je sais qu'il est annoncé 3°C pour cette nuit. Je ne me demande pas comment je vais la passer mais mon moral est d'acier.

Au bout du chemin : Compostelle Où les histoires vivent. Découvrez maintenant