Étape 2

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Mardi 02 Avril

Ponthierry / Saint-Sauveur-Sur Ecole / Perthes-En-Gâtinais / Cély-En-Bière :
15 kms 630 - (39 kms 930)


     Ce n'est pas faute d'avoir été prévenu par l'application météo de mon téléphone portable. Le ciel aussi était annonciateur de la pluie et c'est avec elle que je démonte mon bivouac ce matin vers 06h30. Dois-je m'estimer heureux qu'il n'ait pas plus avant ? Je ne me pose pas la question tant j'ai eu froid toute la nuit. J'ai eu beau enfiler couche sur couche, doudoune sur coupe-vent et me calfeutrer au fond du duvet, je n'ai pas cesser de grelotter. Je me suis réveiller à chaque heure sonnante. Pour éviter les remontés d'humidité, j'avais pris soin de glisser mon matelas en mousse au fond du hamac, mais si le remède est bon, j'ai tout de même été en souffrance.

     Je le suis toujours d'ailleurs, me dépêchant de tout remballer avant que toutes mes affaires soient à tordre. La pluie me grêle le visage et c'est en automate que je prends la route. D'habitude, je ne peux rien faire avant d'avoir pris au moins une tasse de thé alors que là, même ma gourde est aussi vide que mon estomac. je n'ai plus la moindre goutte d'eau qui puisse me rafraîchir le gosier. M'aider à leurrer mon organisme et lui donner à croire que j'ai pris un petit déjeuner. je ne croise rien d'ouvert à cette heure-ci, alors plutôt que de bailler aux corneilles à attendre je ne sais quoi de je ne sais où, je me résigne à avancer. certes, en insultant terre et ciel mais en progressant. Doucement, je vous l'accorde, mais je me meus.

     Les premiers cafés ouverts, je ne les rencontre qu'à Ponthierry. les premières épiceries aussi. Les commerçants achalandent de fruits et légumes leurs devantures, et le jaune des bananes vient faire front à l'orange des clémentines. On pourrait croire que je vais enfin pouvoir prendre soin de moi et me restaurer. Me sécher et me réchauffer, mais ce ne serait pas prendre en compte ma bêtise. Je marche depuis maintenant une bonne heure et comme j'ai l'impression de mieux me sentir, je décide de pousser plus loin jusqu'au prochain village. Je ne veux pas allourdir mon attirail avec des victuailles et pour ce qui est du réconfort d'un petit dej', l'envie m'est passée. Je verrai ça plus tard.

     Aux abords de la ville de Jonville sur ce qui pourrait bien être une chapelle, mes yeux se fixent sur ma première évocation du chemin de Compostelle ; le légendaire logo représentant la fameuse coquille Saint-Jacques. J'en reste comme deux ronds de flan, cherchant à réaliser que je suis bien sur le chemin. Compostelle s'ouvre à moi et c'est vrai que je ne m'en rend pas encore bien compte.

     Plus en avant, j'arrive sur Brinville avec une accalmie de la pluie. je m'enfonce dans le gâtinais et les patelins sont  plus beaux les uns que les autres. Je suis davantage dans la campagne. J'ai d'ailleurs sur ma gauche une grande prairie où broutent quelques chevaux. Ils sont exactement au nombre de sept et paraîssent aussi curieux que moi.

     A Saint-Sauveur, je me décide à faire une petite halte mais dans ce joli bourg de 1200 âmes, il n' y a pas un troquet. Juste une mairie où je fais tamponner mon carnet de pèlerin pour la première fois. Je me sens fier comme Artaban devant la préposée et pourtant, il n'y a pas de quoi sortir la fanfare et les majorettes. Je ne suis qu'un pèlerin parmi tant d'autres. Oui... Un pèlerin, même s'il me semble encore illégitime de me qualifier comme tel. Aspirant pèlerin conviendrait-il mieux ? Quelle importance cela a-t-il et d'où me vient cette manie de toujours tout vouloir nommer avec exactitude ? On s'en fiche. cela n'empêche pas la secrétaire de s'appliquer aux mieux pour centrer le tampon encreur dans la case qu'il convient. Le premier j'espère d'une longue série qui fera de moi un Jacquet. Je la remercie et la salue au moins dix fois, tant je suis ému et trouve le moyen de m"égarer au sortir du bâtiment.

     - Vous cherchez quelque chose ? Me lance une dame vieillissante de l'autre côté du trottoir. Bah tiens, c'est drôle mais elle, on voit de suite que c'est une randonneuse avec son legging de sport, sa casquette et son petit sac à dos alors que moi... Bon enfin, je ne vais pas remettre ça.

     - Ni Titine, ni Mirza lui dis-je. Je fais le chemin de Compostelle et je me suis perdu.
     - C'est tout droit jusqu'au grand noyer qui dépasse les autres. Après vous prenez le petit sentier qui longe le bois. Vous traversez les vergers de pommes et vous aurez gagnez deux kilomètres. C'est un raccourci qui vous mènera à Perthes. J'en viens.

Perthes, c'est bien sur mon itinéraire alors j'y vais à la confiance.

     - merci Madame. Bonne promenade à vous.

     Je bifurque bien au noyer sur le petit sentier du bois, mais il n'y a pas de vergers. Juste deux ou trois pommiers qui se font de l'ombre. J'insiste une centaine de mètres, rebrousse un peu pour repartir, tournicote ici et là, puis m'aperçois que je ne suis plus nulle part. La coquine s'est fichue de moi. Que dis-je la coquine, je peux bien dire la pute. Elle doit bien rigoler en pensant à moi, cette fille de garce. de quoi lui faire la journée.

     Je cafouille tout ce que je peux, crotte mes chaussures jusqu'à mes chaussettes en traversant champs sur champs, alors que la fringale commence à me gagner. Cette faim tenace qui ressemble à une crise de boulimie et vous laisse sans aucune énergie. Celle-là même qui se nourrit de votre essence comme un spectre pourrait aspirer votre âme.

     Je continue coute que coute à patasser dans la boue peut-être sur deux ou trois kilomètres encore, et j'arrive enfin à Perthes-en Gâtinais. Sur les genoux. Aussi desséché qu'une figue. La langue tirée dehors comme celle d'un bovin à la recherche de plus d'oxygène.

     J'achète dans le premier commerce rencontré du fromage, du pain de mie et un saucisson. De l'eau et des bonbons. J'achète sans réfléchir, le plus rapidement possible pour dégoupiller une bouteille salvatrice et faire reculer la mort qui rôdait. Je sais, j'exagère peut-être un peu, mais quand la pépie vous tient, quand la fringale vous étreint, la raison peut se perdre.

     Je fais fi des travaux en cour de la place de l'église, du compresseur troublant la quiètude de tout le quartier et m'installe sous les marronniers. Mon envie de manger est plus forte que les décibels du chantier et j'arrache comme un pilleur, le plastique emballant le pain de mie. La première tartine, je la gobe. La deuxième, je l'engloutie et d'un coup d'un seul comme m'est venue ce désir, je me sens complètement rassasié. Pourtant, je n'ai pas beaucoup mangé mais rien ne rentrera plus. J'essaie de me forcer mais j'en ai fini, alors je me rabats sur les bonbons dont je termine le paquet. Ce n'est pas ce qui me fera tenir, je le sais mais ça me fera toujours un apport de sucre dans le sang.

     Je paresse encore un peu, puis me lève en même temps que le vent. Je crois que je n'ai pas fini d'en baver aujourd'hui. Les bourrasques me font front, me plient en deux. Il est quatorze heures trente lorsque j'arrive en haut de la cuvette de Cély-en-Bière. Il fut un temps où j'ai habité ce village. Un autre temps avec une première épouse et ça me fait drôle d'aller le long de mon ancienne maison. Ce n'est aucunement de la nostalgie, mais je suis toujours étonné de me souvenir à quel point j'ai pu être aussi décervelé, dans mes premières années d'homme adulte. Un temps où je misais tout sur la beauté d'une femme, sans me soucier de la moindre de ses valeurs.

     Je traverse toute la cuvette et dégotte à la sortie du village, un coin où planter ma tente. J'ai beaucoup moins bien marché qu'hier. A peine 16 kilomètres. Je n'ai fait qu' un peu plus de la moitié de ce que je prévoyais mais je n'en peux vraiment plus. Il fait trop froid, trop humide et il y a trop de vent. Je suis vraiment vanné. Mes dernières forces s'en sont allées avec l'effort que j'ai dû fournir pour arrimer les pans de la tente qui cherchaient à prendre leur envol. Maintenant que je suis couché, j'espère ne plus avoir à bouger. Je n'ai même plus envie de fumer...


Au bout du chemin : Compostelle Où les histoires vivent. Découvrez maintenant