Étape 37

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Mardi 07 Mai

Messanges / Vieux Boucau / Souston-Plage :
13 Kms 570 - (926 kms 910)


     Je n'ai pas trop mal dormi et pourtant j'appréhende toujours les remontés humides lorsque je suis près de l'eau. En suivant le balisage du chemin, je m'enfonce dans la forêt landaise. Celle-ci couvre trois départements ; La Gironde, le Lot-et-Garonne et bien sûr les Landes. 220 kilomètres de long. Largeur, 130 kilomètres. Un million-trois-cents milles hectares de superficie. C'est la forêt la plus étendue d'Europe de l'ouest...

     ... Et bientôt il n' y a plus de marque.

     Je pourrais certes rebroussser et revenir sur la dernière que j'aie aperçue mais peut-être que la prochaine n'est pas bien loin. La distance séparant une marque de l'autre n'étant pas toujours la même, je continue tout droit. Je marche dans le sable, grimpe des dunes et gravis des côtes mais toujours rien. deux, trois kilomètres de la sorte.

     Je m'entête maintenant à ne pas revenir en arrière parce que j'ai trop crapahuté. J'en serais d'ailleurs bien incapable. Je ne veux pas encore me l'avouer, ne le peux pas par peur de la sombre vérité mais je suis perdu. Complètement largué au milieu de toute cette immensité tel un grain de poussière sous la canopée. Je grimpe encore un flan de colline pour surplomber une espèce de cirque. C'est à perte de vue. A couper le souffle mais pas que ; Il n'y a plus de réseau téléphonique. Donc, plus de GPS.

     En bas sur ma gauche, je distingue deux biches se baladant. Le tableau est magnifique mais ce n'est pas ce qui me sortirta de là. Je dois me concentrer, me ressaisir et ne me laisser aller à aucune dissipation. Si je marche tout droit, je vais forcément aboutir quelque part. Les Landes, ce n'est quand même pas l'Amazonie, merde...

     Je m'arrête régulièrement de marcher pour écouter religieusement tous les bruits alentours. peut-être le moteur d'un 4X4 sur un sentier... Je continue à avancer sans me démonter et la providence me sourit. Oui, c'est bien ça. On dirait au loin comme les aboiements d'un chien. Je ne bouge plus d'un cil et ne respire pas plus que nécéssaire... Oui... Il s'agit bien d'un chien.

     J'essaie de le localiser en me gardant bien de ne pas confondre l'endroit avec le retentissement d'un écho qui m'induirait en erreur. Je dois aller sur ma gauche... Contourner le cirque... Peut-être y descendre un peu plus mais en tous cas, tous se passe par là-bas.

     Je m'y dirige en évitant de faire trop de bruit et je l'entends de mieux en mieux. Ce chien est ma bouée de secours parce qu'il est soit accompagné de son maître, soit en garde d'une maison. C'est lui qui me sauvera. Vas-y mon chien... Gueule tout ce que tu peux... Comme tu veux...

     ... Mais il se calme et se tait tout à fait. J'ai à mon tour envie de crier ma désespérance  et accélère le pas. deux cents mètres... Trois cents... Continue dans cette direction devenue sinistrement silencieuse pour effectivement tomber sur une bâtisse. "Mon" chien est occupé à vider une gamelle. Derrière, il y a une départementale. Je suis sauvé !

-2-

     Putain ! J'ai perdu la matinée à me sortir de ce mauvais pas et lorsque j'arrive au Vieu-Boucau, le soleil est déjà bien haut dans le ciel. Demain, nous serons le 08 Mais. Autre jour férié et je dois faire le plein de victuailles ou me préparer à faire ceinture  pendant plus de vingt-quatre heures.

     Le vieux-Boucau est une station balnéaire et c'est enfin là que je découvre la mer. J'ai beau l'avoir vu sur plusieurs continents, avoir vécu aux Antilles, jamais je ne pourrai m'en lasser et toujours elle me fera rêver. Toutes les boutiques sont ouvertes. Celles des plages avec leurs ballons et leurs serviettes de bains. Leurs pelles et râteaux dans des seaux. Celles des bikinis, des shorts et des tongs. La pleine saison arrive à grands pas. je fais mes courses sans demi-mesure et dès que je rendosse mon sac, je sens mon corps dans l'hostilité complète ; Son poids a doublé.

     Je m'assois au bar du centre pour souffler un peu et j'y rencontre la figure locale ; Jeannine ! 76 ans ! Si alerte qu'elle pourrait encore en remontrer à beaucoup. Elle a été patronne de pêche sur un bateau comptant sept marins-pêcheurs et ne laisse son tour pour rien. Surtout pas pour les tournées de vin blanc qui s'additionnent. les chemins de Compostelle n'ont plus beaucoup de secrets pour elle qui les a également fait en bivouaquant et elle n'a qu'une seule envie ;  Celle de repartir quand elle le pourra.

     - T'es un vrai bonhomme, toi. Me dit-elle. Compostelle ça se mérite et ça doit se faire à la dure comme tu le fais. Sans chouiner dans les élevages à pèlerins qu'on a mal aux nougats et qu'on ne sent plus son dos. les fils à papa qui se baladent dessus huit jours en allant se pieuter à l'hôtel ne sauront jamais ce qu'est Compostelle.
     - Quand même Jeannine... Ils y vont...
     - Tu parles, Charles. ce ne sont que des charlatans du truc. Si t'as pas pleuré des larmes de sang sur ton chemin, t'es passé à côté. Ce n'est pas dans un plumard avec un édredon en plume d'oie qu'on a de quoi se plaindre d'en baver. Moi, je suis une bonne femme et je l'ai fait comme un bonhomme. Comme toi, alors qu'on ne vienne pas me charrier. Nous on sait ! Allez, un dernier coup de blanc ?

     Le dernier s'accompagne de quelques autres et nous échangeons nos numéros de téléphones en nous promettant de rester en contact.

-3-

     Je ne sais pas si j'ai trop mangé, si c'est le soleil qui me tape derrière les oreilles ou si j'ai un gorgeon de trop dans le gilet mais j'ai un coup de bambou. Je ne peux plus avancer et c'est dans les sous-bois qui longent la piste cyclable de Souston que j'abdique.

     Je suis en pleine installation quand Romain et son chien viennent me tenir compagnie. Il a vingt-cinq ans et est bavard pour deux. Ca tombe bien, je n'ai pas grand-chose à lui dire. Aujourd'hui, j'en ai plus que ma dose de la parlotte même si j'ai adoré celle avec Jeannine. C'est pourtant un gentil môme me proposant de venir chez lui si j'ai besoin de quoique ce soit. Il habite tout près, à pas même deux cents mètres. Je m'aperçois alors avoir oublié une de mes gourdes au bar du centre mais ça va. J'ai tout ce qu'il me faut et l'en remercie. je reste poli et aimable les deux heures durant lesquelles il me tient encore la jambe...

Au bout du chemin : Compostelle Où les histoires vivent. Découvrez maintenant