Étape 26

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Vendredi 26 Avril

petit-Niort / Pleine-Selve / 4 kms après Saint-Aubin-de-Blaye :

23 kms 120 - (664 Kms 350)


     Il est pile 01h00 et j'ai le coeur prêt à tout rompre. Un nouvel orage vient de se lever et souffle dans tous les sens. le tonnerre est apocalyptique et me sort sans scrupule d'un sommeil profond en me mettant face aux turpitudes de la nature. je suis démuni, désarmé et ne peux que subir. certaines images d'évacuations de campings me reviennent et je n'en mène vraiment pas large. S'il m'arrivait malheur, le temps qu'on me débusque, l'hiver serait de retour à nos portes. Je m'attends à tout moment que la toile de tente s'arrache du sol bien que 'jaie d'oublé la pose des sardines. Chaque rafale qui m'épargne est pour moi une victoire que j'évite de laisser paraître afin de me faire oublier. Ne pas m'amener le mauvais oeil et je ne peux rien faire d'autre que patienter. Me calmer et me raisonner parce qu'en France, il n'y a ni typhon, ni cyclone. Quoi la tempête de 1999 ? Est-ce le moment de m'en parler et de réactiver ma poisse ?

     Je remballe dés qu'il fait jour sous un reste de gouttelettes et ne sais même plus si je suis à tordre, à éssorer ou à étendre. Encore une journée où il ne va pas falloir me prendre la tête parce que je ne pourrais pas résister bien longtemps avant le premier coup de boule...

     Je vous entend d'ici et vous êtes dans le vrai ; Ce n'est plus de mon âge. Il y a d'autres moyens de faire, ce à quoi je répondrai qu'il y a des jours où faire dans le social n'est pas ce qui est le plus éfficace, faites-moi confiance...

     Le premier café que je rencontre est fermé mais j'entends du bruit à l'intérieur. des tables et des chaises que l'on remue. certainement la serpillère que l'on passe dans la salle avant de faire chauffer le percolateur. L'attente avant l'ouverture ne peut être longue.

-2-

     J'y commande un double crème mais ce matin, je n'ai pas faim. J'ai la gorge cadenassé et je ne vois pas bien ce que je pourrais avaler, à part du liquide. De plus, j'ai à moitié la nausée. Peut-être mon dernier cigare qui ne passe pas.

     Je ne l'avais pas vu mais il y a une cliente qui ne cesse de me reluquer. Du coup, je ne fais aucunement semblant de l'ignorer et lève les yeux par-dessus les cartes routières que je consulte pour les planter dans son regard. Cela pourrait en refroidir mais elle non. Elle me sourit. Là, soit je ne tique pas et reviens à mes cartes, soit je lui rend la politesse. Je ne vais quand même pas faire encore mon bourrin. je la salue de la tête ce qui l'incite à venir à ma table et elle y dépose une corbeille contenant deux pains au chocolat.

     - C'est pour vous. C'est un cadeau à un pèlerin de Compostelle, puis elle s'en va.
     - Attendez...

     Elle se retourne sur le pas de la porte d'entrée ;

     - Bon courage, et elle part avant que je ne puisse la remercier.

-3-

     Il pleur toujours lorsque je sors. Il n' y a aucune fenêtre bleue dans le ciel qui n'est qu'un camaïeu de gris. Il ne fait pas bien chaud non plus mais j'en ai encore sous la semelle. Je ne vais pas me laisser faire par deux gouttes humidifiant mon chemin ou par une étincelle prenant des airs d'éclaire. Il va me falloir beaucoup mieux que ça pour que je renonce. les lieux-dits et hameaux défilent. Pas aussi vite que j'aimerais mais je suis toujours en route. Je suis toujours aussi solide.

     Aux environs de midi, je croise un garage dont la porte est ouverte. Un grand garage sans rien dedans. Jouxtant ce dernier, une demeure sur le seuil de laquelle un homme fume une cigarette ;

     - Je peux m'y abriter le temps de manger un morceau ?
     - Faites. Par contre si vous allez à Compostelle, vous n'êtes pas dans la bonne direction.

     Je crois que je blanchis. Ma peau de métis ne le montre pas toujours lorsque mon sang cesse de circuler mais je vous l'assure.

     - Cela arrive souvent, reprend-il. la balise d'en haut est mal positionnée alors forcément... Quand vous retournerez au croisement, c'est à droite qu'il faut prendre.

     je le remercie d'un geste de la main. je ne sais encore où j'aurais attéri si je ne l'avais pas croisé.

-4-

     Je suis maintenant en Gironde et j'ai une grosse pensée pour une tante qui a ensoleillée mon enfance. Anna, la soeur de ma grand-mère. Elle habitait près de Bordeaux et je venais y passer chaque grandes vacances. je ne sais trop quand elle est décédée. Des brouilles familiales sont venues se greffer sur ces beaux souvenirs. Sans que je ne sache le pourquoi du comment. peut-être un secret de famille qui a tout éclaté. je regrette à présent d'avoir pris position pour ma mère plutôt que de m'en être fichu. Se vouloir loyal n'est pas toujours juste...

     Je marche aujourd'hui plus longtemps que d'habitude sans pour autant absorber plus de kilomètres. J'ai aussi l'impression de prendre chaque jour un peu plus de retard sur mes prévisions. Pourtant je ne traîne pas mais la météo ne fait rien pour m'aider. je ne suis pas encore aguerri sur le fait d'être dehors par des temps de chiens me forçant à puiser dans mes réserves physique et morale. J'ai conscience de pomper chaque jour davantage dans mes réserves, d'être constament dans la lutte et de mal me traiter, mais je n'en ai pas fini. j'en réclame encore. Je ne suis pas encore assez malheureux ni même au bout de rouleau pour songer à capituler. Ce n'est même pas l'ébauche d'une de mes pensées.

     L'endroit où j'installe ma tente est assez bizarre. C'est en effet une espèce de forêt de pins dont le sol est tapissé par je ne sais quelle plante ou lichen. Je ne me suis pas spécialement enfoncé à l'intérieur et aperçois les autos circuler. Je les entends plutôt parce que je suis enfermé dans la toile à me reposer. Je suis même prêt à m'endormir quand une petite voix intérieur me souffle de sortir. j'ouvre alors doucement et entrevois effectivement une voiture stationnée juste en face de moi. Je me lève. Il y a bien un type en train de m'épier. Je sors et n'ai pas fait trois pas vers lui qu'il démarre, enclenche la première et fait crisser ses pneus. Je ne sais pourquoi mais je ne doute pas un seul instant que si j'avais été une femme, mon avenir alors aurait été compromis.

Au bout du chemin : Compostelle Où les histoires vivent. Découvrez maintenant