Étape 27

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Samedi 27 Avril

Etauliers / Saint-Seurin-de-Cursac / Saint-Martin-Lacaussade / Blaye / Plassac :
21 kms 720 - (686 kms 070)


     J'ai du mal à me lever ce matin et ne fais que tourner et retourner dans ma tête les pensées qui m'ont triturées une partie de la nuit ; je crois que je n'ai plus envie de faire l'acteur. Plus envie de mendier une panouille ou un petit rôle qui ne me satisfait pas. D'abord je n'ai jamais su faire la pute pour ces choses-là. Ni pour autre chose d'ailleurs. Quand je vois beaucoup de mes camarades afficher des sourires de conivences et rire à des vannes qui ne sont même pas drôles, pour brosser les poils d'un réalisateur dans le bon sens, ça me fiche la gerbe. c'est sûrement pour cela que je n'ai pratiquement pas d'amis dans ce milieu.

     Entre les narvalos et les fausses bombasses plus vulgaires que certaines gobeuses du bois de Boulogne bataillant pour un premier rôle, les réals qui ne sont pas capables de mettre en place une kermesse et ceux se paluchant sur leurs derniers courts-métrages, je ne m'y retrouve plus.

     On oublie trop souvent que ce sont de vrais métiers. Tout le monde veut faire du cinoche et passer à la téloche mais qu'est ce qu'on a au bout de la télécommande ? Des journaleux se prenant pour des juges et des divas de carnaval de Maubeuge. Des scénaristes de bacs à sable et des dialoguistes pour Carambar. Des rappeurs s'imaginant musiciens.   

     Quand j'étais jeune, on voulait tous être Belmondo à la récré. Aujourd'hui, ils veulent faire de la télé réalité. Avoir pour les filles les fesses de Kardashian, la bouche d'Afida Turner et les roberts comme des airbags. Pour les garçons, avoir des pecs et des tablettes, quitte à avoir des implans. On va aller loin avec ça...

     De toutes façons, à qui vais-je manquer avec ma gueule de gangster ? des basanés à la tête rasée, on en veut bien dans les quotas pour faire un voyou mais sorti de cet emploi, il n'y a pas grand chose. Et puis soyons lucide ; Si vous ne parvenez pas à tirer votre épingle du jeu au bout d'un moment, si vous n'avez pas réussi à vous faire remarquer, ça ne viendra jamais et vos rêves resteront ceux de seconde ou troisième zone. Moi, c'est l'acteur que je veux faire. Pas la brèle qui traverse une rue au coup de sifflet.

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     Ce n'est pas les magnifiques chevaux de traits que je rencontre qui me contrediront. Ils sont eux aussi à patauger dans la bouillasse et à bien les regarder, ils n'ont pas l'air bien heureux. Pourtant ils ne manquent pas de soin. Leur robe est luisante mais ils boudent. Les ânes avec qui ils partagent l'enclos ne sont pas mieux lunés. Quand il pleut c'est pour tout le monde et je vois bien qu'ils n'ont pas d'abris sous lesquels se protéger. Animal ou humain, il ne faut quand même pas pousser.

     A Blaye, confluent de la Dorodgne et de la Garonne à l'océan se trouve l'embarquadère pour traverser l'estuaire de la Gironde. 75 kms de long sur 12 de large dans sa partie aval. j'ai la possibilité de prendre un bac qui me fera gagner du temps ou le contourner. Du temps, j'en ai à revendre, alors je choisi la dernière option. Si je souhaitais me faciliter la vie, je pouvais prendre l'avion. Par contre, ce ne serait plus le chemin de Compostelle mais le chemin de mes fesses.

     Je ne sais pas si c'est bon pour le ciboulot mais je gamberge à de drôles de trucs. C'est aussi ça la marche. On a le temps de ressasser ses pensées, revenir sur des épisodes qui se cachaient dans la mémoire et ressortir les cadavres des placards. A 55 balais passés, c'est un charnier que je trimballe. Pas de quoi être fier de tout et de la ramener mais le moins que je puisse faire, c'est ne pas fermer les yeux. Admettre et assumer. Voilà où j'en suis aujourd'hui. A des centaines de bornes de chez moi. Tout puant. A faire le con en sac à dos. A commencer une énième introspection. La commencer ou la finir. peu importe mais à me triturer le caberlot.

     Le petit port de Plassace suffit à m'égayer le coeur. C'est tout petit mais assez grand pour m'embarquer ici et ailleurs. J'ai toujours adoré les bateaux qui pour moi sont synonyme de liberté. La clef ouvrant toutes les aventures possibles. Lorsque j'étais enfant, il y avait un grand noisetier au fond de notre jardin. J'en avais fait un navire sur lequel j'étais Surcouf, Jacques Cartier ou Barbe-Noire. J'étais Christian Fletcher des "Révoltés du Bounty".

     Le village est charmant et le chemin me fait grimper sur la colline de Montluzet où je crois perdre un poumon tant sa grimpe mais d'en haut, on distingue tout l'estuaire et c'est une merveille. On dit que Charlemagne y a combattu les Sarrazins. De nos jours s'y trouve un monument sur lequel se dresse la Vierge des marins. C'est parfait pour y planter ma tente.

Au bout du chemin : Compostelle Où les histoires vivent. Découvrez maintenant