Étape 20

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Samedi 20 Avril

La-Villedieu / Aulnay-de-Saintonge :
25 kms 150 - (524 kms 720)


     Ce matin, je quitte Brioux sur une mauvaise impréssion. L'impression de ne pas être forcément le bienvenu. En tous cas, pas celui qu'on a envie de bien recevoir. La boulangère aurait comme des carences côté "bonjour" et je ne parle pas du côté sourire qui est inexistant. j'ai juste envie de tourner les talons et de lever le camp mais l'application de mon téléphone ne m'indique aucun autre commerce à des kilomètres à la ronde. je suis soumis au marché de l'offre et de la demande qui fait que parfois, on ne doit pas être trop regardant et la fermer. Sinon c'est ceinture. Mon choix se porte sur deux baguettes fourrées aux lardons et alors plutôt que de les couper en deux, elle me les plie. merci mon Dieu de me donner suffisamment de mental pour ça aussi parce que j'ai juste envie de les lui balancer dans la boutique.

     Ce pain, je le déguste adosser à la porte de la mairie d'un tout petit village. Je ne suis même pas certain que cela en soit un et pourtant si puisqu'il y a une municipalité. Une mairie qui n'ouvre que certains jours de la semaine. C'est vraiment desert. Pas même un chat en maraude depuis que je suis assis ici. Pas d'aboirments de chien non plus. Juste quelques oiseaux me surveillant. Un tracteur arrive et me fait mentir. Il stoppe à ma hauteur. C'est Monsieur le maire qui s'octroie une pause cigarette et vient la fumer en échangeant quelques mots d'encouragements pour mon voyage.

     Je ne rencontre plus personne sur une vingtaine de kilomètres. Pas un hameau. Pas un lieu-dit et ce jusque Villedieu.

-2-

          Pour économiser du poids à porter, je me ravitaille peu mais c'est une mauvaise stratégie parce que j'ai bien trop souvent le ventre vide. Je me tape des fringales comme il n'est pas possible en tirant trop sur la ficelle. J'espère toujours trouver des petits commerces là où je passe et souvent, je me casse le nez. La désertion des campagnes n'est pas une vue de l'esprit et j'en fais les frais. Il faut vraiment que je m'organise autrement si je ne veux pas toujours finir sur les rotules.

     Un panneau m'indique que j'entre en Charente Maritime. Je traverse quelques sous-bois, chemine le long de quelques champs lorsque je pense être arriver à Aulnay-de-Saintonge mais il me reste en fait encore 4 kilomètres à marcher. La déception est grande. J'en ai plein les pattes et plein le dos. Je pourrais avoir vite fait de tout envoyer promener et m'allonger là. Attendre demain un jour meilleur mais non, je ne veux pas écouter cette petite voix qui m'enquiquine depuis déjà un petit moment. Je me suis dit Aulnay et je vais m'y tenir. Dans une heure, je pourrai me reposer. Je marche donc en me récitant en boucle la tirade du "Cid". Celle de "Bon appétit Messieurs..." pour ne penser à rien ;

     " O Ministres intègres, conseillers vertueux,
       Voilà votre façon de servir, serviteurs qui pillez la maison ?
       Donc, vous n'avez pas honte et vous choissez l'heure,
       l'heure sombre où l'Espagne agonisante pleure..."

     Faire le vide et les alexandrins de Victor Hugo sont si pleins que je 'nai besoin de rien d'autre pour m'enivrer. J'arrive enfin à la terrasse d'un café tant espèré et je ne sais si j'ai plus besoin de boire bien frais ou de manger un morceau. Le barman m'aide à trancher en s'excusant de ne pas servir de sandwiches. Je n'ai qu'à traverser la rue et je trouverai boulangerie et épicerie.

     Le soleil est encore bien haut et mine de rien, je n'ai quand même pas trop mal marché. Le hasard me guide vers l'église Saint-Pierre qui s'élève sur un ancien sanctuaire gallo-Romain devenu chrétien, dont les tombes entourent le site. L'architecture Romane est magnifique. Ses voussures et chapiteaux, une merveille. L'église s'érige depuis le XIe siècle au milieu de ce cimetière dont les pierres tombales les plus étonnantes, représentent des espèces de sarcophages sur pilotis. On y a également découvert quelques stèle de légionnaires romains. Ici et là, des ifs sans âge. la paroisse est en pleine rénovation mais elle est très belle. Le lieu est un réel havre de paix et je m'y sens si bien que je m'installe au milieu des tombes, pas bien loin d'une croix Hosannière. Croix qui surmontait le plus souvent les fosses communes et les ossuaires entre le XIe et XVIe siècle.

     Vous avez raison, je ne manque pas d'audace mais si je me fais virer, je démonterai mon bivouac sans chercher à insisiter ni même me justifier. je comprendrai aisément que ce n'est pas ici un réfuge de l'armée du salut. Pas non plus "un camp-migrants" pour pèlerins de Compostelle bien que beaucoup y passent. Je ne m'étale pas et essaie de prendre le moins de place possible. Je ne m'impose pas en terrain conquis, me fait discret et me contente d'être un amoureux des vieilles pierres.

     Après m'être restauré, je ne laisse absolument rien traîner. Je ne suis pas de ceux qui laissent leurs ordures derrière eux. Je ne laisserai pas non plus traîner mes pieds quand je dormirai. C'est bien connu, il peut arriver qu'on vienne vous les tirer. Dans un cimetière sûrement plus qu'ailleurs...

Au bout du chemin : Compostelle Où les histoires vivent. Découvrez maintenant