Étape 33

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Vendredi 03 Mai

Moustey / Pissos / 8 kms avant Labouheyre :
25 kms 080 - (834 kms 710)


     Les types bossant pour la météo du coin méritent une augmentation parce qu'ils ne se sont pas trompés. Il a bien plu ce matin. Il pleut encore et je me réveille dans une pataugeoire à canards. Je rassemble tout le courage que je peux sans en laisser aux autres et me mets en route pour la ville de Moustey, ce qui me permets de faire connaissance avec les pistes de sable traversant les forêts de pins. J'en ai parlé hier, c'est difficile à braver. Ca double les efforts à faire et c'est pour le moins épuisant. Le plus confortable que je trouve est de marcher sur les traces des véhicules qui ont comme damés le sable à certains endroits. Tout cela sur des kilomètres. Du sable sur du sable dans une forêt que zèbrent les semi-remorques avec grue forestière, les différents buldozers et les 4x4. Les tombereaux aussi.

     Je vous jure mériter le café pris en terasse au Moustey et là, je rencontre Robert. A peine aimable. Il est parti le 08 Avril et c'est la cinquième fois qu'il fait Compostelle. Il me laisse pour aller casser une petite croûte dans la guérite d'en face. Voilà... C'est tout. Pas un mot de plus.

     J'en rencontrerai d'autres comme lui qui additionnent chemin sur chemin par les mêmes voies ce que je ne comprends pas, mais l'homme n'est pas l'espèce animal la plus sondable. C'est comme toujours faire le tour du même pâté de maison en empruntant les mêmes rues, sauf que lui va un peu plus loin. Si je compte bien, il me met une semaine de marche dans la face. Enfin, c'est ce qu'il veut laisser paraître. Je le vois repartir à fond de train à peine dix minutes plus tard. Elle est vraiment petite sa collation. Du coup, je reprends un café.

-2-

     Moustey est pour les pèlerins de Compostelle, la ville des 1000 kilomètres la séparant de Saint-Jacques. Une borne l'indique mais ce n'est pas sa seule particularité. C'est en effet "la" commune de France où se font fronts deux églises ; L'église Notre-Dame et l'église Saint-Martin. Je vous accorde que cela est bien étrange d'avoir autant de religion mais peut-être y a-t-il là-bas deux fois plus de chrétiens.

     Je suppose que Robert s'est engouffré sur les pistes se rendant à Pissos. J'emprunte un autre chemin. Celui des voies cyclables possédant le même kilomètrage mais sûrement moins usant. En fait, j'ai noté qu'il y a un camping et je souhaite m'y doucher, mettre de l'ordre dans mes affaires et laver mon linge mais il est fermé. C'est là que Robert me rattrape, me dépasse et me sème pour le centre-ville. Il me donne vraiment le tournis. Je ne comprends pas bien ce qu'il a, à ainsi brasser l'air comme une espèce de Don Quichotte sans Sancho Panza. Il est tout juste un peu plus âgé que moi. Il est en short et chemisette kaki alors que j'ai un sweat à capuche, une veste doublée et un coupe-vent. Ses chausettes remontent jusque sous ses genoux. Presque là où finit son short. Il n'a pas poussé la plaisanterie à porter un casque colonial mais a comme beaucoup d'entre nous une casquette.

     Je le retrouve sur la place de l'église en train de cafouiller et à faire des cercles sur lui-même. Je prends alors le partie de l'ignorer et entre dans un café. Il me suit et s'assoit à ma table. Même sa conversation est confuse et je n'apprendrai rien de plus de lui si ce n'est qu'en plus d'être couillon, il a aussi la suffisance de ceux qui connaissent tout et pourraient nous en raconter jusqu'au bout de la nuit.

     - Moi je te le dis, quand on a fait Compostelle une fois, on ne peut plus s'en passer.
     - Je ne sais pas, mais pourquoi toujours le même chemin ?
     - Et pourquoi pas ? L'important c'est d'y arriver.

     Il me glisse encore deux-trois conneries que je ne feins même pas d'écouter. Il m'insupporte et je me fiche qu'il le ressente ou non. Il termine son verre et repart en brassant autant d'air.

     J'estime avoir mérité un bon cigare pour m'en remettre. Robert a réservé un hébergement à Labouheyre. Punaise ! Encore 16 bornes à crapahuter. 16 ! J'en serais bien incapable et c'est dans des moments comme celui-ci que je me réjouis de la liberté qu'offre le bivouac. Alors bien sûr, question fraîcheur on n'est pas bien fringants. Ce n'est pas moi qu'on choisira pour ambiancer les podiums en emboîtant le pas des sapeurs Congolais. Question frangrance on est sur des effluves de gros gibiers en fin de vie mais la liberté n'a aucun prix. Je prefère être un cochon sauvage qu'une panthère en laisse. Mes objectifs ne sont pas les mêmes. Ni mes priorités, ni mes finalités. Nous ne faisons pas le même chemin et ne boxons pas dans la même catégorie mais je ne vais pas revenir là-dessus.

     Il est 15h30 et il doit marcher près de quatre heures avant de boucler son étape. La mienne est faite. J'ai mes 25 bornes au compteur. Il ne me reste plus qu'à pousser un peu davantage et me dégotter un petit carré de paradis pour y passer la nuit.

Au bout du chemin : Compostelle Où les histoires vivent. Découvrez maintenant