Étape 6

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Samedi 06 Avril

Saint-Jean-de-Braye / Orléans / Saint-ay :
24 kms - (149 kms 520)


     Je me suis réveillé de moins mauvaise humeur. Certainement parce qu'il a fait moins froid et que j'ai dormi un peu plus longuement. Je n'ai pas vu la queue d'un renard. En revanche, s'il y'en a un, il sera peut-être heureux des lunettes de soleil que j'ai perdues en remballant.

     06h30 sonne à je ne sais quelle église lorsque j'arrive à Saint-Jean-de-Braye et j'avale mon petit déjeuner dans une brasserie sans flâner. Je suis pressé d'atteindre la ville d'Orléans qui, allez savoir pourquoi, représente dans ma tête un cap. Celui des 15 premiers kilomètres ? Je ne sais pas, mais je ne traîne pas. C'est comme si elle m'attendait avec la Cathédrale Sainte-Croix en son centre. Cette Cathédrale qui est l'une des cinq plus grandes de France et vit Jeanne d'Arc venir y prier. Pour souvenirs, ses vitraux nous racontent les épisodes de sa vie. Et puis il y a ces 140 mètres de long pour 53 de large. Une flèche qui embrasse les anges à 106 mètres d'altitude. 15 chapelles sur les dalles du déambulatoire contournant le choeur... Henri VI, Louis XIV y mirent leur grain de sel et oui, c'est... C'est beau. Pas besoin d'être de la curetaille pour en avoir le tournis.

     Je ne suis nullement déçu en la voyant. C'est une véritable merveille et je profite de sa proximité avec la mairie pour aller y faire tamponner mon carnet. Cela doit être une habitude pour cette préposée parce qu'elle ne lève aucunement les yeux sur moi, même si elle reste polie. Je ne suis pour elle que du tout venant. Je suis d'accord, je ne suis pas Vasco de Gama ni Christophe Colomb. Encore moins Marco Polo ou Magellan, mais quand même. Je ne suis pas en train de remonter une station de bus à pied. C'est en Espagne que je vais. Eh oh... Madame... ? Non ? Bon bah non alors... Je range mon carnet comme je l'ai sorti avec un peu moins de frime quand même et me remets en route.

     Quelques rues plus en avant, je suis aux abords du fleuve. Une borne est décernée à Compostelle sur laquelle est inscrit 1604 kilomètres, soit la distance à parcourir pout y arriver. Distance qui encadre une certain chemin. Le mien sera plus long. J'ai expliqué précédemment pourquoi.

     Sur la Loire virevoltent une multitude d'espèces d'oiseaux différentes. Il y règne une atmosphère assez étrange où paradoxalement se mêlent la plénitude à une sorte de tristesse endormie. Je lui trouve l'âme Slave, emplie d'une espèce de nostalgie sourde et je comprends mieux Georges Simenon à choisir cette ambiance pour bon nombre de ses romans.

     Aujourd'hui est une belle journée. Si je suis le courant de l'eau, je devrais normalement rejoindre Meung-sur-Loire, ma prochaine destination, mais le marquage m'indique une autre direction à prendre. Je pourrais presque tirer le chemin à la courte paille, mais mon instinct me souffle de longer la Loire. Je trottine tranquillement bien que le vent s'enrage pour se quereller avec la pluie. Mon moral ne se laisse pas saborder par les rafales et même si ma capuche goutte maintenant du chagrin d'un ciel morose, je reste vaillant. Les averses n'ont jamais fait fondre personne. Aussi désagréables soient-elles, elles ne m'auront pas. D'ailleurs, ma bonne étoile me met à disposition un petit refuge que je m'empresse de gagner. Il s'agit d'un observatoire d'oiseaux construit par les élèves d'un lycée professionnel, comme le notifie une pancarte clouée à l'intérieur. Tout neuf. Tout propre. Il est certes ouvert aux quatre vents, mais j'y serai au sec.

     Je salue donc les huit kilomètres que je pensais encore avaler pour clore mon étape et m'y installe. Juste le matelas de sol à dérouler et sortir mon duvet. Rien de plus et rien à remballer demain dès potron-minet. Je peux bien le dire, monter et démonter un bivouac n'est absolument pas ma tasse de thé, comme je n'aime pas du tout aller m'approvisionner en nourriture. Dans les magasins, un sac à dos peut être catastrophique en embarquant une tête de gondole.

     J'ai quand même 25 kilomètres dans les jambes. Lors de ma préparation, je m'étais donné une journée de repos pour cinq de marche. Ce n'est pas ce que je fais. J'enquille en fait jour après jour, sans éprouver ni l'envie, ni le besoin de me l'accorder. Cela se fait naturellement et le matin au levé, n'ayant aucune courbature et me sentant frais, j'y vais pleinement. Pour le moment, m'octroyer cette journée serait me punir. Ca ne me vient tout simplement pas à l'esprit et je suis toujours en quête de "l'après". Je suis toujours curieux de ce qu'il y a plus loin.

     Je ne sais plus quand ni où, mais j'ai eu droit à mon "Buen Camino", ce fameux bonjour aux pèlerins qui se traduit par "bon chemin", et cela contribue à mon bonheur. Je ne rencontre aucune hostilité à mon égard, bien au contraire. Les gens sont souriants, chaleureux et curieux. Je m'étonne qu'il y'ait autant de monde qui connaissent les chemins de Compostelle alors que j'en ignorais tout et me félicite de m'être lancé dans cette aventure. C'est être dans la vraie vie, au plus proche des vraies valeurs et je comprends maintenant ce que signifie aller à la rencontre des autres. Je me souviens avoir dit que je ne me risquait pas dans cette équipée pour aller vers l'autre. J'étais on ne peut plus sincère mais la vérité, c'est que ce sont les autres qui viennent à vous. Que vous le vouliez ou non, il en va ainsi et je redécouvre que l'homme peut aussi avoir du bon en lui. je n'ai toujours pas rencontré d'autres pèlerins, mais les locaux remplissent suffisamment les vides que je pourrais avoir, si tant dit que j'en ais. Je suis toujours ce vieux solitaire contemplatif. cet ours bougon à l'insulte facile, mais je sens aussi que je m'attendri comme neige au soleil.

     Tout à l'heure, en m'allongeant sur mon sac qui me sert d'oreiller, j'ai cassé en deux la coquille Saint-Jacques qui le décore. Cette coquille est le symbole distinctif de tous ceux qui sont en partance pour Compostelle. Certains y verraient un mauvais présage. Moi, je ne crois pas aux sortilèges, qu'ils soient bons ou mauvais. Le bout restant est encore attaché et je ne me trompe pas en me détournant de tous les augures. Mon sac n'en sera que plus léger et cela ne veut surtout pas me dire que jamais je n'arriverai à Compostelle.

Au bout du chemin : Compostelle Où les histoires vivent. Découvrez maintenant