Étape 31

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Mercredi 01 Mai

Cestas-Labirade / Le Barp :
18 kms 530 - (780 kms 880)


     Il est 05h10 et j'ai envie de paresser. Aujourd'hui, cela fait jour pour jour un mois que je suis parti. Quand je regarde en arrière, j'ai une impréssion d'éternité et je n'en vois pas encore le bout. Je n'ai parcouru qu'un tiers du périple. A vrai dire je suis comme hors du temps. Les jours passent les uns derrières les autres si rapidement que j'en perds le compte des semaines et n'y porte aucune importance. je suis certes fatigué mais seulement physiquement. Le moral ne me quitte pas et je suis loin d'en avoir marre. J'ai parfois des coups de mou mais ils ne durent pas bien longtemps. Juste quand j'ai froid ou suis sous la pluie.

     Je suis certain que c'est plus difficile pour Véronique qui ne peux réellement s'imaginer ce que je vis. Elle ne sait que les quelques bribes lachées au téléphone lorsque je la rassure sur mes états de santé mais comment pourrait-elle en deviner davantage ? C'est plus difficile parce que toute la maison repose sur ses épaules. L'intendance de notre petite famille, la maintenance de ce que nous nous efforçons d'avoir tout le long de l'année et la gestion des emmerdes du quotidien alors que moi, je n'ai qu'à me laisser guider par le vent.

     Je crois que je pourrais passer le temps de mon existence sur les routes parce que je sais me passer de tout et être heureux d'un rien. Je n'ai besoin que de l'essentiel. Rien de plus que ce que j'ai dans mon sac à dos. Le reste est superflu et c'est ce superflu qui est la cause du malheur. Vouloir ce que possède le voisin. Se battre pour posséder plus que lui, le conserver et le faire fructifier. Envier. Jalouser. Voilà la perte de l'homme. Le matériel n'est pour moi rien de plus qu'un outil et je vous assure que je préfère une fourgonnette à une berline allemande parce que selon l'usage que je fais des voitures, cela m'est plus utile. Je peux en parler pour avoir eu les deux et en ce qui me concerne, j'ai plus l'occasion de devoir transporter un motoculteur ou une tondeuse à gazon qu'une starlette à deux balles. De toutes façons, elle n'irait pas moins loin. Pas moins vite. Seul le standing ne serait pas le même mais ceux me connaissant savent ce que j'en pense du "standing".

     Si je perdais mon amoureuse, je crois que je laisserais tout en plan et m'en irais au bout du monde. Mon coeur n'est pas assez gros pour être partagé entre l'amour et le chagrin que j'en aurais.


-2-


     Je parle, je parle et il est déjà 07h00 depuis une dizaine de minutes. Dès les premiers pas, j'ai l'assurance que je vais en baver. Je suis complètement crevé comme après une bonne nuit à m'être cuité, sauf que je n'ai pas la gerbe mais grand faim. J'ai pourtant ingurgité un poulet entier hier soir mais je n'ai plus rien dans le ventre si ce n'est des crampes.

     Deux pains ronds pour hamburger calment cette petite crise de boulimie et je remplace mon café du matin par des gorgées d'eau. Je n'ai envie de rien d'autre. Je ne sais même pas ce dont j'ai envie. J'ai levé le camp pour ne pas m'imposer et déranger les maîtres de maison mais j'aurais pu rester à glander sous la tente jusqu'à la saint glinglin. Vous me direz à raison que rien ne m'empêche de la replanter ailleurs mais même pour me recoucher, je suis trop crevé. je suis complètement sur la gente.

     J'attaque des forêts de pin que traversent des routes tracées à la règle sur des kilomètres. Lignes droites sur lignes droites donst la monotonie se marie à la fatigue et j'avance dans la peine en zigzagant. Je ne renie rien. Le parfum des pins est merveilleux mais je m'en fous que ça sente mon carrelage après le passage de la serpillère. cela fait bien une heure que je préfèrerais respirer l'andouillette grillée, les merguez et les frittes. Je ne pense qu'à cela.

     Je me suis arrêté il y a un petit moment pour finir la saucisse sèche et déjà, je suis obligé de refaire une pause. Obligé de manger encore, alors j'ouvre la boîte de salade de fruits. Je n'ai jamais eu autant la fringale qu'aujourd'hui et je gobe plus que je ne mange. Le jus dégouline dans ma barbe et de ça aussi je m'en fiche. de la contenance pour qui ? Pour quoi ? Ne serait-ce que pour moi ?

     Je m'allonge complètement dans l'herbe et fume un cigare les yeux fermés. Je me sens partir et m'endormir. Non pas une petite sièste d'après repas mais pour de bon chez Morphée. depuis que je suis levé, mes pauses se transforment en escales et je ne peux m'empêcher d'en prendre une à chaque kilomètre.

     Il faut que je me bouge. Ne pas m'écouter...

     J'arrive dans la commune du Barp vingt minutes avant la fermeture du bar pour y faire timbrer mon carnet. Le patron voit que je suis au bout du rouleau et m'offre une menthe à l'eau. Il remplit mes gourdes. Encore une bonne âme mais je n'ai malheureusement pas la force de lui faire la conversation. Je dois me trouver un coin où bivouaquer, me mettre au calme et me reposer. Je crois que je suis malade...

Au bout du chemin : Compostelle Où les histoires vivent. Découvrez maintenant