Chan avait miraculeusement réussi à se rendormir après son début de nuit mouvementé. Mais son sommeil n’avait rien eu de bien réparateur. Il n’avait fait qu’enchaîner les cauchemars, plus angoissants les uns que les autres. Il n’avait jamais été aussi content d’ouvrir les yeux le matin pour enfin fuir ces rêves morbides.
En deux jours à peine de jeux, il était passé par un nombre incalculable d’émotions et d’états d’esprit. Sa petite tranquillité habituelle s’en était retrouvée bien bouleversée. Ce qui l’avait le plus perturbé était sa rencontre avec Junghwa, son meilleur ami du lycée. Enfin, il ne savait pas vraiment s'il l’avait été un jour. Cet énergumène était celui qui avait fait naître une bonne partie de ses démons actuels, Chan le voyait un peu comme une personnification du diable.
Depuis qu’il était levé, il ne cessait d’y penser, c’était ancré dans sa tête comme une mauvaise herbe qu’il n’arrivait pas à arracher une bonne fois pour toutes. Même la douche glaciale qu’il avait prise pour tenter de se réveiller n’y avait rien changé. Il rejouait leur rencontre de la veille dans sa tête, encore et encore, sans fin.
Junghwa avait été le premier à l’aborder à son entrée au lycée. Lui et son groupe d’amis avaient rapidement cherché à l’intégrer parmi eux, se montrant tout de suite très sympathiques. Il ne connaissait personne et on ne l’avait pas mis en garde contre qui que ce soit, alors il s’était laissé faire sans se poser trop de questions. Sans se douter qu’ils détruiraient sa vie au moindre faux pas.
C’était bien au début, Chan avait l’impression d’avoir trouvé un bon groupe d’amis. Ils étaient solidaires, drôles et sympathiques, ce fut après que ça s'était dégradé. Ils avaient commencé à se montrer un peu plus brutaux avec lui, voulant le sortir de sa zone de confort pour qu’il suive davantage leurs délires de plus en plus malsains. Tous les vices, Chan les avait expérimentés avec eux. Il voulait leur plaire, qu’ils restent amis avec lui car après tout, il n’avait pas d’autres personnes avec qui traîner s'il les perdait. Et puis ils n’étaient pas si mauvais, n’est-ce pas ?
Chan ne voulait pas spécialement aller se bourrer la gueule en ville, faire des graffitis sur les murs ou même tabasser un gars qui ne se pliait pas à la volonté de Junghwa. Mais il se sentait obligé de le faire, on lui faisait toujours comprendre que s'il ne le faisait pas, il allait se retrouver tout seul, sans personne. Et ils n’étaient pas toujours méchants, ils pouvaient être compréhensifs parfois, quand Chan les écoutait.
Ce fut à cette période qu’il rencontra Felix. Sur le peu de temps qu’il avait passé derrière son ordinateur depuis la rentrée, il avait rencontré cet adolescent un soir sur un serveur Minecraft. Ça avait tout de suite accroché entre eux et ils avaient joué jusqu'à pas d’heure, Chan oubliant complètement sa promesse de venir à une free party organisée par le grand frère de Junghwa. Mais il avait tellement passé un bon moment avec son nouvel ami qu’il ne s’était pas formalisé des conséquences qui allaient lui retomber dessus.
Et ça n’avait pas manqué. Dès son retour au lycée le lundi, toute sa bande d’amis lui était tombée dessus, cherchant à savoir pourquoi Chan les avait plantés à la soirée. Et quand il leur eut expliqué, ils rirent. Mais ce n’était pas un rire amusé et compréhensif, non. C’était un rire moqueur et sadique qui l’avait rongé d’effrois jusqu’à l’os.
Il savait qu’il allait regretter d’avoir oublié, ils n’acceptaient pas qu’on se moque d’eux, même si ce n’était pas intentionnel. Comment pouvait-on ne pas aller à une soirée avec eux et préférer rester avec un inconnu sur un jeu débile ? Ils étaient bien plus intéressants et cool, c’était un déshonneur de les laisser comme ça !
La suite, Chan essayait de ne pas s’en souvenir. Depuis le début de la journée, il était plongé dans ses pensées sans pouvoir en sortir, c'était comme s'il revivait certaines scènes. Et c’était horrible. Grâce à Felix, il s’était rendu compte à quel point ses “amis” étaient toxiques, mais ça ne leur avait pas plu qu’il cherche à s’éloigner. C’était à cause de ces années de lycée que Chan s’est retrouvé complètement cloîtré chez lui, et il le regrettait amèrement maintenant.
Il commençait à étouffer dans le loft à force de cogiter dans son coin. Il avait besoin de s’aérer l’esprit, de penser à autre chose pour éloigner toutes ces mauvaises ondes. Depuis qu’il avait atterri dans cette ville, il ne supportait plus sa solitude, il se mettait presque à chercher du contact avec l’extérieur.
Chan n’avait rien fait de très constructif de sa journée et il commençait à saturer. Alors, en écartant ses pensées sombres, il réussit à se mettre en route vers le café de la veille. Il ne voyait pas d’autre endroit où aller et il s’y était senti un minimum en sécurité, alors ça semblait être une bonne idée.
Le lieu était toujours aussi chaleureux et accueillant. Il s’agissait du même barista derrière le comptoir et les clients lui semblaient aussi un peu familiers, sûrement les mêmes que la veille. Chan alla s’installer au comptoir pour commander, il se sentait déjà un peu plus à l’aise, content de changer d’air. Il opta cette fois-ci pour un frappuccino, désireux d’élargir sa culture en matière de café. Il voulait en profiter à fond pour redécouvrir tous ces petits plaisirs oubliés depuis bien trop longtemps.
Le barista l’avait visiblement reconnu, car il lui adressa un gentil sourire en le servant avant de retourner à sa vaisselle. Chan aimait bien l’ambiance générale du lieu, il se sentait relativement à l’aise et personne ne faisait attention à lui, chacun plongé dans sa conversation. Il n’y avait que l’homme derrière le comptoir qui était ouvert au dialogue à tout moment. Chan se sentait quand même un peu sur la défensive, comme si Junghwa pouvait débarquer à tout moment. Pourtant, il n’était pas là, il ne lui avait même pas adressé la parole la veille, il s’était mis à paniquer tout seul et il se sentait vraiment bête quand il y repensait. Il n’avait plus eu de contact avec les garçons depuis la fin du lycée, soit quatre ans. Quatre ans qu’il était enfermé chez lui, quatre ans qu’il ne vivait plus.
Il n’avait plus vraiment de contact avec son père depuis. Une grosse dispute avait eu lieu entre eux, quand Chan n’avait pas réussi à décrocher son examen final du premier coup. Ils s'échangeaient encore quelques messages pour les anniversaires et les fêtes de fin d’année, mais pas vraiment grand-chose de plus. Malgré cette dispute que Chan trouvait injuste, son père lui manquait. C’était un peu grâce à lui s’il se retrouvait là, mais il n’avait pas été capable de lui offrir le soutien dont il avait besoin.
Un grand verre presque débordant de crème fouettée se pointa sous son nez. Le barista venait de le servir, le tirant de ses rêveries. Chan était tellement perdu que ses pensées passaient du coq à l’âne sans transition.
- Ça va gamin ? T’as pas l’air en forme…
Chan tourna machinalement sa paille dans le verre, s’amusant inconsciemment avec la crème.
- La nuit a été longue. Soupira-t-il lourdement. Je suis simplement un peu fatigué.
L’homme opina en ordonnant le comptoir, ne voyant pas quoi ajouter de plus. Chan porta la paille pour goûter sa nouvelle boisson, observant distraitement les faits et gestes du barista. C’était peut-être bête, mais se concentrer sur ce genre de petits détails futiles lui permettait de garder les pieds sur terre. Comme lorsque Felix lui avait pris la main quand il avait quitté son immeuble. Il avait besoin d’un ancrage pour ne pas se perdre dans une imagination négative. Il passait sûrement pour un taré avec cette habitude de toujours se focaliser sur certaines choses, mais il ne pouvait pas faire autrement, sinon il partait dans des délires tous plus sombres les uns que les autres.
Alors oui, observer quelqu’un essuyer un verre et le ranger, ou même passer un coup de chiffon sur les étagères n’avait rien de très passionnant. Mais ça lui évitait de trop penser à la journée horrible qu’il passait en ce moment. Ce n’était que les résultats de son excès de confiance, il en était sûr. Quand il essayait d'évoluer et de progresser, il ne connaissait que la régression comme finalité. Un pas en avant, c’était comme trois en arrière.
Et même s’il pensait ne jamais pouvoir s’en sortir, il arrivait encore à espérer. Il rêvait même de jours comme celui-ci, de lui dans un café ou d’une soirée entre amis. C’était son idéal, un objectif vers lequel il continuait de se tourner quand il le pouvait.
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Game Over
FanfictionDévoré par les démons de son passé, Chan a trouvé refuge dans l'univers virtuel des jeux vidéo, une échappatoire qui lui permet d'éviter de côtoyer le monde réel qui l'entoure. Cependant, son quotidien prend un tournant inattendu lorsqu'une opport...