Chapitre 25 : Elle ne devrait pas être ici

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Il était 15 h 30. Emy sortait du magasin presque en courant. Aujourd'hui, elle rattrapait une heure sur les quarante qu'elle avait effectués en plus le mois précédent. En temps normal, avant Andréa, elle serait restée. Encore. Elle aurait fait des heures supplémentaires pour alléger sa conscience, car le chaos régnait dans toutes les boutiques de la rue. Le soleil avait fait sortir tous les batteurs de chez eux et ces derniers ne trouvaient rien de mieux à faire que de parcourir les magasins en quête d'un achat compulsif. D'habitude, elle aurait craqué devant le regard de chien battu de Mona et le sourire triste de Sam, mais pas cette fois. Dès qu'elle eut passé les portes, elle balaya la rue des yeux en se frayant un chemin dans la foule. Ils se figèrent sur une main levée portant un casque de moto quelques mètres sur sa droite. Elle se glissa jusqu'à elle et découvrit Andréa installée sur sa Harley. Alors qu'elle s'approchait d'elle, ses oreilles se mirent subitement à bourdonner. Son corps enclencha comme un semblant de pilote automatique pour continuer sa progression malgré les vagues qui paraissait submerger son environnement. Sa vision se troubla et les couleurs lui paraissaient beaucoup moins intenses que d'ordinaire. Lorsqu'Andréa se leva, elle lui sembla avoir pris vingt ans. Son visage était plus ridé épargnant sa beauté qui semblait éternelle. Elle se stoppa et secoua la tête. Ses oreilles se débouchèrent dans un claquement douloureux et tout son environnement reprit place. Andréa l'observait d'un œil interrogateur. Ces épisodes devenaient de plus en plus fréquents et surtout il n'avait lieu qu'en présence d'Andréa. Emy avait mille questions qui tournaient dans son esprit. Devenait-elle folle ? Est-ce que c'était ça de devenir sénile ? Est-ce que ce n'était pas ce genre d'épisodes qui noircissait les pensées de sa mère ? Allait-elle plonger comme elle dans un autre monde ? Alors que toutes ces interrogations lui embrumaient la tête, elle sentit une main lui agripper le bras. Andréa se tenait devant elle, les sourcils froncés par la sollicitude.

— Est-ce que ça va ? Tu fais une drôle de tête.

— Oui, oui, je vais bien, ce n'est rien ! répondit aussitôt la jeune femme en lui souriant. C'est quand je te vois, tu me fais beaucoup trop d'effet, plaisanta-t-elle pour échapper à l'inquisition à venir.

— C'est ça, pouffa Andréa.

Le badinage pouvait nous sauver de bien des situations. Elles se mirent en route, la joie sur les lèvres, direction l'institut Beauregard. Il y avait un peu moins d'une heure de route pour le rejoindre. Emy prenait son temps, profitant des bras d'Andréa enlaçant sa taille tout au long du trajet. Arrivé sur place, le grand portail en fer forgé s'ouvrit sur leur passage. Elles pénétrèrent dans le domaine avant se garer sous les saules centenaires. Andréa semblait nerveuse et triturait les lanières de son casque en observant les portes vitrées de l'institut. Emy n'avait pas anticipé l'anxiété de sa compagne face à cette rencontre. Tout va bien se passer, se rassura-t-elle avant de lui prendre la main.

— Tu te sens comment ?

— Incroyablement stressée. Je suis bien ? s'enquit-elle aussitôt en replaçant ses boucles rousses légèrement aplaties par le casque.

— Tu es parfaite.

Emy lui embrassa le front et caressa sa joue avec tendresse.

— Tu sais, ma maman risque de ne pas être lucide entièrement donc... Enfin, je veux dire que tu risques d'avoir affaire à ma mère, mais d'un autre temps. Si c'est le cas, elle m'appellera Lucie. C'était sa meilleure amie.

— C'était ?

— Lucie nous a quittés il y a presque six ans maintenant.

— Oh, je suis désolée.

— Ne le sois pas, Andy. La douleur est passée.

Andy. Ce surnom allait vraisemblablement devenir une habitude. Il sortait de sa bouche sans qu'elle n'y réfléchisse, comme un réflexe primaire qu'elle ne pouvait contenir. Elle aimait bien et Andréa ne semblait pas gênée par ce diminutif. Elles se présentèrent à l'accueil pour enregistrer leurs identités respectives. Andréa, qui se rendait à l'institut pour la première fois, se devait de remplir un formulaire pour de se faire délivrer un badge visiteur. C'est à ce moment-là que Samuel s'approcha pour saluer Emy. L'infirmier de sa mère lui fit une accolade amicale avant de la questionner sur son accompagnatrice.

Elle est faite de la même matière que les rêvesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant