Chapitre 16 : L'allumeur de réverbères

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Emy pressait le pas. Elle avait une douleur dans la poitrine qui l'empêchait de respirer à plein poumon. Elle se sentait terriblement angoissée bien qu'elle eut rêvé de cet instant la grande majorité de sa vie. Malgré son manque d'oxygène, elle se mit à courir comme son existence en dépendait. Elle perdit une chausse sur sa route, mais n'arrêta pas sa course pour autant. La nuit recouvrait les rues d'un tapis d'obscurité. L'un des derniers falotiers de la ville s'affairait à allumer les lanternes de chaque artère de Saint-Georges. Dans sa cavalcade, elle ne remarqua sa présence qu'au moment où elle percuta son escabeau de bois. L'homme en proie au déséquilibre attrapa fermement la lanterne de fonte qu'il était venu allumer et se retrouva suspendu dans le vide. L'escabeau chuta sur le pavé dans un immense fracas. Emy trébucha en se prenant les pieds dans sa robe et rejoignit l'échelle du falotier. Ce dernier, toujours pendu à son réverbère se mit à crier sur la jeune femme.

— Vous ne pourriez pas regarder devant vous !

— Je vous prie de m'excuser, monsieur ! Je suis pressée !

La jeune femme se releva péniblement et reprit sa course sans prêter attention aux remontrances de l'allumeur de réverbères derrière elle. Elle emprunta une venelle de moins d'un mètre de large sur sa gauche et traversa pour rejoindre la rue parallèle. Elle remonta l'allée de pavés en boitillant jusqu'à se débarrasser de sa deuxième chausse qui ne faisait que la ralentir. Dans un dernier effort, elle pressa ses foulées à en perdre haleine. La boiserie rose poudrée de l'hôtel-restaurant Chez Maurine se rapprochait à grande vitesse. Elle y passa les portes à bout de souffle, les poumons brûlants. Elle se stoppa à l'entrée et balaya la pièce du regard. Elle l'aperçut, assise à l'arrière de la salle. Emy s'approcha d'elle un large sourire exposant la joie intarissable d'être présente en ce moment précis. Elle s'arrêta face à la jeune femme, restant debout malgré les fourmillements engourdissant peu à peu ses membres. Andréa releva la tête vers elle et lui sourit. Elle ôta son chapeau de feutre et dévoila un chignon serré derrière la tête. Elle tendit une main gantée vers Emy qui s'en saisit sans plus attendre.

— On se retrouve enfin, murmura Andréa.

— Je suis et serais toujours à l'heure, à chaque fois.

La jeune femme posa une main sur sa joue pour y effacer la perle de joie qui y roulait. L'impression de chaleur de la paume d'Andréa sembla soudain s'évaporer comme si Emy se paralysait peu à peu. Elle n'eut plus de sensation dans ses jambes puis l'immobilité gagna ses bras. Elle sentait une emprise gravir sa colonne vertébrale pour s'immiscer jusque dans sa nuque. Elle haleta. Sans avertissement, elle manqua d'air. Elle s'écrasa lourdement au sol, et s'éveilla brutalement.

— Oh, mais merde, ce n'est pas vrai ! ragea-t-elle.

Elle se redressa péniblement en s'accrochant à son lit pour se mettre en position assise. Elle se prit le bras en grimaçant et le massa pour encourager la douleur à se dissiper. Elle tourna son réveil vers elle et découvrit qu'il était seulement 6 h 45.

— Ça fait tôt, souffla-t-elle en se relevant.

Elle se remémora son rêve en buvant un café, profitant de la vue que lui offrait la Haute-Ville qui s'éveillait à peine. Elle se dit que la conversation de l'avant-veille avec Andréa avait dû la bousculer plus qu'elle ne le pensait. Cette histoire d'Emily Dickinson avait sans doute inspiré son inconscient en satisfaisant un drôle de fantasme. Emy, qui n'avait jamais porté de robe de sa vie, se rêvait en grande tenture du XIXe siècle à courir sans chaussures dans les rues d'un Saint-Georges d'époque pour retrouver une Andréa endimanchée et belle comme le jour dans ce bar à côté de chez elle.

— N'importe quoi, pouffa-t-elle en buvant une gorgée de café.

Bien que sa journée démarrât par une chute, elle comptait bien se rattraper avec sa soirée. Elle fonça dans une boutique près de chez elle pour acheter un cadeau digne de ce nom à Debby puis parti travailler. Le magasin était calme et la journée s'annonçait bien. L'équipe était joyeuse et le début de semaine se déroulait jusque-là, sans accroc. Elle s'approcha d'Andréa qui était au téléphone et faisait les cent pas sur le palier menant à l'étage. Emy lui sourit et demanda silencieusement qui était au bout du fil. Andréa grimaça en lui prenant la main.

Elle est faite de la même matière que les rêvesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant