La journée fut interminable. Le monde ne désemplit pas jusqu'au blocage de l'entrée du magasin, dix minutes seulement avant la fermeture totale. Une fois la dernière cliente encaissée, les portes se refermèrent derrière elle et les soupirs de soulagement des vendeurs se propagèrent aux quatre coins du magasin. Il était vingt heures et le calvaire s'achevait enfin. L'équipe s'affaira à nettoyer et ordonner les trois cents mètres carrés de boutique et Inès s'appliqua à fermer ses caisses en anticipant les éventuelles erreurs de ses collègues. En une heure, le magasin fut propre, rangé, l'argent mis en sécurité et scellé dans le coffre digital de Loomis réputé inviolable. Il était 21 h 15 lorsqu'Emy tourna la clé qui abaissa le rideau de fer mécanique. Elle rangea prudemment ses affaires, enfila ses gants et son casque avant de déverrouiller l'antivol de sa moto. Elle fit rugir le moteur et parti une minute plus tard. La jeune femme habitait à seulement un petit quart d'heure de son lieu de travail. L'avantage était qu'à une heure pareille, les bouchons s'étaient dissipés et elle n'avait plus besoin de slalomer entre les voitures. Elle logeait dans un quartier populaire de Bâton-Rouge. C'était un secteur calme qui ne tenait pas sa popularité de son architecture. Les boîtes grisâtres qui faisaient office de bâtiments n'avaient rien d'esthétique. Ils avaient été conçus dans l'urgence de l'effondrement économique, il y a un peu moins d'un siècle, pour abriter les biens matériels militaires réquisitionnés par l'État. C'était un amas d'édifices fonctionnels qui n'étaient pas faits pour loger des civils des années plus tard. Emy avait choisi de poser bagage ici, car cela lui permettait d'avoir une grande surface à moindre coût. Il était hors de question de vivre dans une cage à poules du centre de Bâton-Rouge et de se nourrir de plats lyophilisés pour ne pas épuiser la totalité de ses ressources. Une fois arrivée dans son appartement, Emy se mit en pilote automatique. Les tâches étaient simples : douche, manger, et dodo. Elle dévora un reste de pâtes carbonara en continuant la lecture de son roman pour échapper à sa vie durant quelques lignes. C'est à minuit qu'elle put se glisser dans son lit, courbaturée de sa journée. Alors qu'elle modifiait son réveil afin qu'il sonne plus tôt le lendemain, elle reçut un message sur son mobile :
Mona : Ta binôme arrivera à 10 h, j'arriverais en même temps pour que tu puisses t'occuper d'elle 😉. Bonne nuit bichette !
Emy souffla et répondit brièvement à Mona :
Emy : Merci tata, à demain 😘.
Elle n'allait pas lui dire, mais elle était vraiment contrariée. Demain ce sera son huitième jour de travail consécutif, car elle avait travaillé le dimanche. Merveilleuse idée qu'était le travail dominical ! Depuis les fermetures des lieux de vente à répétition lors des multiples pandémies au début du XXIème siècle, les boutiques avaient pris l'habitude de rester ouvertes sept jours sur sept, et cela trois cent soixante-cinq jours par an sans exception. À cette époque-là, il existait des jours banalisés où la population ne travaillait pas. Ils appelaient ça des jours fériés. Il paraîtrait qu'il existait une fête du Travail où l'intégralité de la population ne se rendait pas au travail et cela par obligation. Emy n'y croyait pas beaucoup, mais l'idée de fêter son job sans venir bosser était assez grisante. Foutues pandémies ! Emy aurait été ravie que cette réforme ne soit jamais passée. Elle était fatiguée et comptait sur ce jour de repos pour récupérer et penser à elle plutôt qu'à son travail. Mais on lui avait volé son temps de répit. Non. Sa binôme lui avait chapardé son jour de repos. Cette pauvre fille n'avait même pas encore commencé à travailler avec elle qu'elle la détestait déjà.
Cette nuit-là, elle eut l'impression de fermer les yeux à peine cinq minutes. Le chant matinal de son mobile la fit sursauter. Elle l'éteignit en rageant, la tête plongée dans son oreiller. Elle se leva à contrecœur et remit en route le pilote automatique pour effectuer son rituel auroral. Elle avala rapidement un petit-déjeuner puis enchaîna avec un passage à la salle de bain. Suite à cela elle enfila sa tenue de combat, prit son casque et les clés de sa Harley avant de claquer la porte derrière elle. La moto avait l'avantage de la détendre. Elle se sentait libre et parfaitement sereine lorsqu'elle chevauchait ce monstre mécanique. Ce moment était précieux pour Emy, car personne ne venait l'importuner. Exception faite des gros lourds qui n'ont jamais vu de femmes de leur vie sur une moto, comme le Néanderthalien de la veille. Simone de Beauvoir s'étranglerait de voir à quel point leur monde n'avait pas évolué de ce côté-là. Emy retrouva sa boutique. Elle attendit l'arrivée de Kendra, sa caissière du jour, pour y entrer en sa compagnie.
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Elle est faite de la même matière que les rêves
RomansaÀ vingt-deux ans, Emy vit à Bâton-Rouge ville rivale de Saint-Georges. Sa vie bascule à la suite de la maladie dégénérative de sa mère, la forçant à abandonner ses rêves d'archéologie et à se consacrer à un emploi alimentaire pour subvenir à leurs b...