Chapitre 30 : La photo

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Emy avait passé sa journée à consulter sa montre. À chaque coup d'œil, elle poussait un soupire las accompagné d'une moue. C'était toujours dans ce genre situation que Chronos semblait s'amuser à ralentir le temps. Son esprit était saturé et chaque client qui l'abordait devenait une souffrance. Elle traînait sa carcasse en réserve et prenait son temps pour intervenir, espérant que la journée passerait en accéléré. Le temps pouvait être long quand on se languissait. Lorsqu'il fut 19 heures, son visage se décrispa enfin.

— C'est ça, envole-toi papillon ! Et ne te cogne pas la tête sur l'ampoule ! s'amusa Mona en la voyant courir vers les vestiaires.

Andréa, qui avait des heures à rattraper, était partie une heure avant elle. Emy lui envoya un message la prévenant de son départ. Elle repassera chez elle avant de la rejoindre. Pas question de découvrir l'intimité de sa compagne dans cet état. En plus de laver sa peau, elle allait laver son âme de toute la négativité qui lui avait pourri la journée. Il fallait au moins cela. Une fois pomponnée et habillée, Emy s'arma de ses gants son casque et sa veste en cuir pour se rouler vers Saint-Georges. Elle passa le pont et la frontière le cœur battant, espérant que les propos de l'agent qui lui avait rendu visite n'étaient pas aussi graves qu'ils n'en avaient l'air. Ce n'est que lorsque la barrière s'ouvrit accompagnée d'une LED verte qu'Emy put enfin respirer. Elle roula avec prudence jusqu'au boulevard où habitait Andréa. Elle grimpa doucement sur le trottoir et stoppa son véhicule au niveau du parking deux roues situé quelques mètres après l'entrée du bâtiment. Elle ôta son casque et ses gants avec élégance puis s'avança vers l'entrée. Son regard se posa sur les néons roses du bar jouxtant le bâtiment : Chez Maurine. Emy s'arrêta soudainement dans son élan, une douleur lui emprisonnant les poumons. Lorsqu'elle ouvrit les yeux, elle était dans ce qui s'apparentait à un ancien pub irlandais. L'atmosphère était chargée par les odeurs de cigarette et de whisky. L'ambiance était tamisée, éclairée par quelques appliques suspendues au-dessus du bar et des billards. Le reste de la luminosité était dû aux néons roses de la devanture. Une fléchette rouge dans les mains, elle s'apprêtait à viser la cible accrochée au mur sous les encouragements de ses amis. Elle prit une gorgée de bière et lança sa fléchette qui atterrit avec insolence dans le cercle rouge au centre de la cible. Sous les cris de joie de la petite troupe, Emy leva les bras puis salua ses compagnons d'une révérence théâtrale. Elle sentit soudain une présence dans son dos et des bras s'enrouler autour de sa taille dans la seconde suivante.

— Belle dextérité, murmura Andréa à son oreille.

— Visiblement, on appelle ça le talent, paraît-il !

— Tiens donc. Et est-ce que toi, ton talent et ta gloire avaient envie de passer chez moi tout à l'heure ?

Emy se retourna pour lui faire face, posant sa pinte de bière sur la table haute à ses côtés. Elle fronça les sourcils et lui prit les mains.

— Tu es sûre ? Tu m'as toujours interdit de monter chez toi.

— J'ai changé d'avis, souffla-t-elle dans un murmure.

La douleur dans ses poumons explosa jusqu'à la faire se plier en deux. Elle toussa frénétiquement puis se releva en inspirant longuement. Elle était sur le trottoir face à la devanture de Chez Maurine, toujours tristement fermé pour travaux. Elle secoua la tête et s'essuya le visage comme pour nettoyer ses songes. Elle sentait qu'elle avait eu une absence, mais n'arrivait pas à se rappeler ce qu'elle avait fait les cinq dernières minutes. Elle souffla longuement et prit le temps nécessaire pour retrouver ses esprits. Après une minute de relaxation, elle s'approcha se l'interphone. Elle y chercha le nom d'Andréa sur la tablette tactile. Elle sélectionna « MLLE CARTIER ». Elle s'éclaircit la gorge lorsque la sonnerie retentit.

Elle est faite de la même matière que les rêvesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant