Chapitre 5

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Zak

Je fonce hors du commissariat pour reprendre ma filature. Même si l'interrogatoire de ces deux délinquantes a vite été plié, je rage d'avoir dû interrompre ma mission à cause d'un quiproquo. L'une aurait en effet mentionné détenir une bombe au moment des faits. Au fil de l'interrogatoire, j'ai vite compris qu'il s'était agi d'un malentendu et que ma présence avait été inutile. Mais bon, mieux vaut être trop prudent que pas assez.

Cela va faire trois ans que je travaille au sein de l'OCLCO* et jamais je n'ai eu à faire à deux jeunes féministes criminelles. Mon travail, c'est de traquer les trafiquant d'armes en tout genre pour démanteler leur réseau et empêcher tout braquage. Au volant de ma Polo, je me fraye un chemin parmi le trafic dense pour rejoindre mes collègues toujours en poste de surveillance. Notre cible est revenue en ville la veille et loge chez un ami en centre-ville. Mon équipe est sur ses traces depuis.

-De KK** à Piou-Piou, t'as toujours la cible en visu ? dis-je en dégainant ma radio.

-Piou-Piou à KK, affirmatif, il fait ses courses au Lidl, me répond mon collègue.

-Doudou à KK, comment s'est passé ton interrogatoire ? me demande mon second.

-Fausse alerte, juste deux nénettes qui se sont prises pour Banksy.

-Des bombes atomiques ?

-Ça dépend du point de vue.

-Et du tien ?

Je marque un temps. Oui, une en particulier. Quand je l'ai vue, mon cœur et ma queue ont tressauté à l'unisson. Elle est juste magnifique. Des yeux en amende, une peau hâlée, une bouche en cœur et un corps plantureux, j'ai dû me faire violence pour ne pas lui demander son numéro. Mais mon rôle de flic oblige, je me suis contenu pour mener à bien mon interrogatoire, qui s'est d'ailleurs terminé un peu trop vite à mon goût, et je dois maintenant me refocaliser sur ma mission.

-KK à Piou-Piou, je me dirige vers la cible, dis-je à mon collègue pour changer de sujet.

-Bien reçu ! Il s'apprête à passer à la caisse.

Je gare ma voiture sur le parking du supermarché au moment où notre target sort du magasin. Ben Massimo, 27 ans, commercial, pas de casier judiciaire... Rien n'indique qu'il soit une menace potentielle pour notre ville s'il ne s'avèrerait pas être suspecté d'appartenir au gang des « braqueurs anonymes », appelés ainsi à cause de leur masque blanc et inexpressif et connu pour leurs nombreux braquages de banque et de bijouteries. Notre objectif : surveiller les moindres faits et gestes de Massimo pour anticiper un éventuel passage à l'acte. Notre cible rejoint sa Renault et nos deux véhicules le suivent de près jusqu'à un HLM du quartier de Saint-Brieuc.

-Doudou, t'as pris des photos du bâtiment où il est entré ? demandé-je à mon collègue, après nous être garés à proximité.

-Affirmatif !

-Il nous faut son étage !

-J'y vais, me confirme Piou-Piou.

Je vois sa silhouette en civil sortir de sa voiture aux vitres teintées et se diriger vers le hall du vieux building où Massimo est entré une minute plus tôt.

-Il a écrit son nom à l'arrache sur une boîte aux lettres, nous informe notre collègue depuis son oreillette, il habite au 10ème. Et on dirait qu'il a une concubine.

-Comment elle s'appelle ?

-Diane Laurent.

Je tique à ce nom. Impossible, cela ne peut pas être elle, pourtant, il ne peut y en avoir deux à trois kilomètres à la ronde.

-T'as bien dit Diane Laurent ?

-Ouai, pourquoi ?

-C'est la fille que j'ai interrogée plus tôt.

-Pas qu'une délinquante finalement, conclut mon collègue après une seconde de silence.

Je jure dans ma barbe. Il semblerait que le canon intrépide partage le même logement que l'un des suspects les plus surveillés de Rennes. Est-elle au courant de ses intentions ? Et si oui, est-elle complice ? J'ai du mal à l'admettre, pourtant les signes ne trompent pas. Son lapsus n'était peut-être pas si anodin finalement.

-Doudou, il me faut plus d'infos sur elle. Checke tout, son entourage, les lieux qu'elles fréquentent, ce qu'elle fait de ses journées... Et je veux toutes les conversations qu'elle aura échangées avec Massimo.

-Bien reçu, chef !

-Facteur en approche ! nous interpelle notre collègue.

Je vois en effet le Staby jaune se garer à l'entrée de l'immeuble puis le facteur y entrer, les bras chargés de lettres et colis. Nous entendons mon collègue et lui s'échanger un bonjour cordial puis après avoir fait ses affaires, il s'éclipse hors du bâtiment.

-Il vient de déposer un paquet dans leur boîte aux lettres, s'excite Piou-Piou.

-Vas-y, ouvre-le ! lui dis-je, le cœur battant.

Nous entendons notre collègue décoller le scotch du paquet puis s'exclamer :

-Oh la vache !

-Du C-4 ? Un gun ? m'enquiers-je.

-Non, pire que ça : un gode !

-Un gode ?

-Et pas qu'un petit !

-Bon, repose ça et reviens à la voiture, lui intimé-je, irrité.

Je ne sais pas ce qui me fout le plus les nerfs, qu'elle entretienne une relation avec ce malfrat de Massimo ou que je n'ai toujours pas d'élément pour le pincer. Dans tous les cas, si tous les deux représentent une menace pour notre ville, il faut les arrêter à tout prix.

Les jours suivants, nous pistons donc Massimo et Diane Laurent H24. L'équipe technique a placé un micro GSM dans leur appartement durant leur absence mais jusqu'à maintenant, rien de probant. J'en apprends un peu plus sur Diane Laurent mais rien qui ne pourrait la considérer comme une menace. Doctorante en biologie, elle vit à Rennes depuis sept ans et n'a eu aucun démêlé avec la justice. Du moins officiellement car si ses amies la défendent bec et ongles à chacune de ses actions, pas étonnant que son casier reste vierge.

Après les avoir relâchées, Rouget m'a confié bien connaître ces civiles et m'a persuadé qu'elles ne méritaient aucune charge. Je suspecte un conflit d'intérêt entre l'avocate et lui mais je n'ai pas voulu tergiverser. Dans tous les cas, et même s'il ne s'agit pas de mon affaire, une part de moi est ravie qu'aucune charge n'ait été retenue contre elles. Non pas que je cautionne leur délit mais je ne vais pas blâmer des citoyennes de se battre contre des criminels. Après tout, Pichon est bien connu du commissariat et même si la justice ne peut le condamner pour faute de preuve, il mérite de finir en prison une bonne fois pour toute.


*Office Central de Lutte contre le Crime Organisé (OCLCO) : Cet office, relevant de la Direction Centrale de la Police Judiciaire (DCPJ), est chargé de la lutte contre le crime organisé, incluant le trafic d'armes.

**Pseudonyme que se donnent les agents du terrain, pour des questions d'anonymat, mais surtout par pure affection les uns pour les autres.

Les Délurées - Tome 1Où les histoires vivent. Découvrez maintenant