Chapitre 2

77 9 8
                                    

Diane

Après la conférence, Samuel et moi retournons à notre laboratoire. Tandis que mon collègue nourrit Ratatouille, notre rat imberbe qui nous sert de cobaye, j'examine sa peau à la recherche de nouveaux poils mais toujours rien. Il y a deux semaines, nous lui avons greffé sur le crâne des cellules souches que nous étions parvenues à cultiver dans l'espoir qu'elles se prolifèrent et donnent naissance à d'autres follicules pileux.

-Sois patiente, ma biche, on a encore du temps devant nous, me rassure mon collègue.

Je me pince les lèvres, dubitative, avant de me reprendre. Il a raison. Nous nous sommes donnés trois mois avant de voir des résultats concrets. Je ne vais pas me laisser me débiner maintenant. Vers 18 :00, je quitte le labo pour rentrer chez moi. Une fois arrivée, je file dans ma chambre pour me préparer. Pour ce soir, tenue camouflage oblige. Je fourre mon legging et ma veste noire dans mon sac de sport et me poste devant mon miroir pour échanger mon turban bleu à pois blanc qui recouvre mon crâne chauve avec une couleur plus sobre.

Si aujourd'hui je suis parvenue à assumer (ou presque) ma maladie, l'adolescente en moi porte encore les traumas du départ brutal de ma chevelure noire et crépue. J'avais 16 ans lorsque les premiers symptômes se sont manifestés. Après une forte fièvre, j'ai commencé à perdre mes cheveux par mèche, ce qui a nécessité un séjour de plusieurs jours à l'hôpital et des doses sans précédent de cortisone. Malgré quelques cheveux persistants, j'ai fini par me résoudre à tout raser. Mes parents m'ont soutenue dans cette dure épreuve ainsi que ma meilleure amie et acolyte féministe, Mathilde, aka Math. C'est même elle qui a insisté pour passer la tondeuse et me débarrasser de mes derniers cheveux.

J'ai ensuite porté des perruques, mais j'ai vite abandonné l'idée après que Clément Vasseur, un camarade de mon lycée, me l'ait retirée par surprise en me balançant un « c'est vrai ce qu'on dit alors, t'as vraiment un crâne d'œuf ! ». J'aurai pu prendre cette remarque comme une sympathique marque d'attention si Kévin Tarmin, le garçon dont j'étais désespérément amoureuse à l'époque n'avait pas pouffé de rire en assistant à la scène. Autant dire que cette expérience a coupé court à mes hormones d'adolescente prépubère amourachée. Les jours suivants, je n'ai pas revu l'auteur des faits. J'ai appris plus tard que Math l'avait dénoncé auprès de la directrice de notre lycée et qu'il avait été exclu trois jours. Vincent m'avait ensuite présenté ses excuses, pour autant le mal était fait et je n'ai plus jamais porté de perruque depuis, uniquement des turbans. Autant faire comprendre à tout le monde ce qu'il en est.

Heureusement, la plupart des gens me montrent beaucoup d'empathie. Après le lycée, j'ai même gagné en popularité. Il faut dire que dans les branches de biologie et de médecine, les étudiants sont tous les jours confrontés à la maladie. Je ne suis donc pas un spécimen rare. 

Comme j'ai une faim de loup et que j'ai encore un peu de temps avant ma soirée avec les Délurées, je me dirige vers la cuisine pour me préparer mon bol de Chocapic. J'adore cette cuisine. Équipée d'un buffet, d'un grand frigo et d'un four encastrable, j'ai tout ce qu'il faut pour y préparer mes desserts. J'ai emménagé dans cet appartement il y a trois mois maintenant et je dois dire que je m'y suis très vite sentie chez moi. Même si je regrette mon petit studio du centre-ville que j'avais repris d'une amie de Math et que j'ai dû quitter pour cause de fin de bail, je n'ai pas à me plaindre de celui-ci. Il est spacieux, lumineux et situé à quelques minutes en tram de l'université.

Au début, je cherchais avant tout un appartement répondant aux mêmes critères que mon ancien studio mais j'ai dû vite faire face à la réalité : mon petit salaire de doctorante n'a pas convaincu les agences immobilières et les petits propriétaires croulant sous des demandes bien plus alléchantes. J'ai dû élargir mes recherches à la colocation et après même pas quelques jours, je répondais à l'annonce de Massimo. Ce dernier m'a accueilli chaleureusement et nous avons discuté pendant plusieurs heures avant qu'il ne me confirme que je pouvais emménager quand je voulais.

Tandis que je gobe mon bol de céréales, la sonnette de l'appartement retentit. Je m'empresse d'aller ouvrir et tombe sur le facteur portant un colis dans ses mains. Chouette, mon sextoy ! Ah oui, j'ai oublié de vous dire mais je suis également testeuse de sextoys. Oui oui, ça existe et c'est même très lucratif ! Aujourd'hui, je reçois le dernier vibromasseur chauffant Vénus et ma culotte en frétille d'avance. Tout le monde se l'arrache sur les réseaux sociaux. Enfin quand je dis tout le monde, c'est surtout les femmes avides de plaisir solitaire et les couples en quête d'un peu de piment au lit. Moi, je suis de ces femmes en manque d'argent... Oui, bon, et de sexe aussi. Depuis Julien, avec qui je suis restée trois ans jusqu'à il y a deux ans, autant dire que ma vie sentimentale est un véritable néant. J'ai bien tenté les apps mais après avoir révélé ma maladie à mes dates, ils semblaient soudain tous pris de pitié pour un pote qui venait de se faire larguer et qu'ils devaient rejoindre pour le consoler. Et on dit que le masculinisme a encore de beaux jours devant lui !

Bref, tout ça pour dire que, puisqu'aucun homme ne veut de ma sublimissime personne, je me fais plaisir toute seule ! Je sors l'appareil de son boîtier et l'examine avant de lire le mode d'emploi. Avec chaque colis est fourni un questionnaire de satisfaction que je dois dûment remplir et renvoyé avec le jouet après deux semaines de test. Je parcours les questions. Une section est réservée au partenaire mais je ne m'inquiète pas trop étant donné que les réponses sont optionnelles. Ravie, je finis mon bol, fourre mon nouveau jouet dans un des tiroirs de ma commode et me rends chez Math pour notre opération taggage.

Les Délurées - Tome 1Où les histoires vivent. Découvrez maintenant