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mars 1981

José Carlos Costa marchait d'un bon pas. Il avait quarante ans. Les branches se brisaient sous ses pas lourds. Il boitait un peu, un tout petit peu.
Autour de lui, la nature s'éveillait. Il aimait entendre le doux son de ces arbres qui ondulaient sous l'effet du vent, ou encore de ces oiseaux qui semblaient s'appeler l'un l'autre à travers l'immensité de la forêt. Il aimait ces couleurs vives et verdoyantes qui changeaient de teintes d'une heure à l'autre de la journée. Il aimait aussi sentir le frottement léger des herbes folles quand elles glissaient entre ses doigts. Il aimait encore cette odeur fraîche et parfumée de la rosée matinale. Il aimait enfin et surtout se retrouver seul, là, au milieu de cette nature enchantée.
José Carlos s'arrêta un instant pour souffler. Il posa sa valise à ses pieds. Car si ce matin-là il marchait dans la forêt, ce n'était pas pour le seul plaisir de la contempler. Il avait une idée en tête, un projet.
Il souleva son chapeau de velours gris pour s'essuyer le front et découvrit son visage de l'ombre du couvre-chef. Le visage de cet homme, de cet étranger, de ce mystère : señor Mariposa.
Un petit papillon orangé passa au-dessus de son épaule. Il était sur la bonne voie. José Carlos ramassa ses affaires et reprit sa route. Le chemin était très finement tracé à travers le feuillage. Il avait préféré couper par la forêt, plutôt que de prendre la route, pour gagner du temps et par souci de discrétion. Car ce voyage, il voulait le faire seul.
Et il le ferait seul.

- Bonjour !
José Carlos sursauta et se retourna.
Un jeune garçon d'une dizaine d'années le regardait en souriant. Il le connaissait. C'était Enrique, un petit orphelin du village qu'il venait de quitter.
- Vous m'aviez pas dit que vous partiez.
José Carlos soupira.
- C'est vrai.
- Pourquoi ?
- Pourquoi quoi ?
- Pourquoi vous m'avez pas prévenu ?
José Carlos fut un peu surpris. Il ne s'attendait pas à cette question.
- Je sais pas... Je voulais... partir seul...
- Vous auriez pu me prévenir quand même.
Le garçon avait l'air contrarié.
- Je suis désolé. Excuse-moi.
- Est-ce que je peux venir avec vous ?
José Carlos sursauta de nouveau.
- Ah ça non ! C'est pas possible !
Il ne voulait pas faire de la peine à Enrique mais sur ce point là il était catégorique.
- Pourquoi ?
- Parce que.
Enrique était déçu. Mais pas près d'abandonner.
- Juste un bout de chemin, s'il vous plaît.
- Non !
- Pour vous faire pardonner de ne pas m'avoir prévenu.
José Carlos soupira. Enrique avait touché dans le mille.
- Bon d'accord. Mais juste aujourd'hui alors. Demain tu repartiras au village.
- Merci señor Mariposa.
- Et arrête de dire señor Mariposa. Appelle-moi Carlos, comme tout le monde.
- Mais personne ne vous appelle Carlos, señor Mariposa.
- Au village peut-être. Mais sinon c'est Carlos mon nom.
- Alors tout le monde ne vous appelle pas Carlos.
José Carlos s'arrêta. Il réfléchit quelques instants puis concéda :
- C'est vrai pas tout le monde... mais beaucoup de monde.
- D'autres mondes ?
- Si tu veux.
- Quels mondes ?
Carlos ne répondit pas.

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