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Carlos et Enrique avaient presque atteint Mexico. La végétation se faisait moins dense et les habitations de plus en plus nombreuses. Ils avaient décidé de s’arrêter un moment avant d’entrer dans la  zone urbaine. Au loin, la ville se dessinait avec ses couleurs ternes et synthétiques.
Carlos n’avait pas du tout envie de rejoindre l’agitation du monde moderne. Il préférait la solitude et le calme de la forêt. Mais il n'avait pas le choix.
— Carlos, on va où ensuite ?
— Je sais pas petit.
— Vous savez pas où vous voulez aller ?
— Je sais où je veux aller. Mais c’est un endroit où je ne peux pas t’amener, Enrique…
— Pourquoi ?
Carlos sortit un papier de sa poche.
— Tu sais ce que c’est ça ?
— Non, je sais pas lire.
— Tu n’as jamais été à l’école ?
— Non.
— C’est une autorisation pour aller aux Etats-Unis.
Enrique ouvrit de grands yeux.
— Vous allez aux Etats-Unis ? J’aimerais tellement aller là-bas !
— Mais c’est pas aussi facile que tu le crois d’y entrer. Tu sais combien de temps j’ai mis pour avoir cette autorisation ?
Enrique secoua la tête.
— Un an ! Un an ! Tu imagines ?
Oui il imaginait très bien. A l’âge qu’il avait, un an ça représentait un huitième de sa vie.
— Tu comprends pourquoi je ne peux pas t’amener ?
Enrique acquiesça.
— Comment on fait alors ?
— Je ne vois qu’une seule solution : que tu rentres seul en bus jusqu’au village…
Le jeune garçon était déçu. Il avait vu ce voyage comme l’espoir d’une nouvelle vie. Au lieu de cela, il retournait au point de départ. Mais Enrique n’était pas du genre à se laisser abattre.
— Et on peut pas aller aux Etats-Unis sans le papier ?
— Non, enfin c’est illégal.
— Ça veut dire quoi « illégal » ?
— Que c’est pas légal.
Enrique n’était pas plus avancé.
— Et… « légal » ça veut dire quoi ?
— Tu connais pas le mot légal ?
— Non.
Carlos se tourna. Il sembla soudain réaliser à qui il parlait.
— Bon alors « légal » ça veut dire qu’on a le droit et « illégal » qu’on a pas le droit.
— Donc on n'a pas le droit d’aller aux Etats-Unis sans le papier ?
— Voilà.
Enrique demeurait tout de même pensif.
— Mais, Carlos, pourquoi il faut un papier ?
— Je sais pas moi ! Je suis pas politicien !
— Ça veut dire quoi politicien ?
— C’est…
Mais finalement il se reprit.
— Tu comprendras plus tard.
Le silence suivit. Carlos et Enrique regardaient au loin.
— Ma maman disait souvent ça.
Carlos sortit de ses pensées.
— Comment ?
— Ma maman disait souvent «tu comprendras plus tard».
— Ah…
Nouveau silence.
— Comment elle s’appelait ta maman ?
— Margarita Hernandez.
— Et ton père ?
— Mon père, il s’appelle Juan. Je connais pas son nom de famille.
— Tu as toujours ton père ? Je croyais qu’il était…
Carlos se reprit. Il avait parlé trop vite. Mais Enrique voulait savoir.
— Qu’il était quoi ?
— Ben… qu’il était… mort… fit Carlos géné.
— Ma mère est morte, pas mon père. Mais je l’ai jamais vu.
— Tu sais où il est en ce moment ?
— Non.
— Et le reste de ta famille, tu le connais ?
Enrique secoua la tête.
— Non personne. Je vivais tout seul avec ma mère.
— Comment tu fais depuis qu’elle est morte ? Pour manger, pour vivre je veux dire.
— Je me débrouille. Mais c’est pour ça que je veux venir avec vous. Pour changer de vie.
Carlos ne répondit pas. Il était dans ses pensées. Il réfléchissait. Quelques chose l'avait touché. Quelque chose qui allait tout changer.
— Je te promets rien, Enrique. Mais je vais essayer de t’amener là-bas.
Enrique bondit de joie. Il finit même par sauter dans les bras de Carlos pour le remercier.
Celui-ci fut un peu surpris. Il avait presque oublié la spontanéité de l'enfance. Carlos regrettait cette époque d’insouciance. Cette époque où peu nous importe ce que les autres pensent. Cette époque où on ne comprend pas tout, ce qui est mieux parfois. Cette époque où le monde est juste un rêve. Carlos, lui, avait grandi trop vite, il le savait. Il aurait pourtant préféré que ce monde merveilleux dure toujours. C’est probablement pour cette raison qu’il aimait tant les papillons. Peut-être était-ce justement ce qui le reliait encore à cet univers imaginaire et fantastique. Cet univers dans lequel Enrique se trouvait encore. Ça se voyait dans ses yeux.

— Elle était comment ta maman ?
Carlos venait de rompre le silence.
— Elle était… elle était… je sais pas comment expliquer.
— Tu préfères la dessiner ?
— Oui ! Bonne idée !
Carlos tendit le carnet au garçon. Toujours avec souplesse et délicatesse, l’image prit lentement forme. Enrique reproduisait les traits avec une étonnante vraisemblance, et pourtant d’une simplicité émouvante. Carlos ressentait tout l’amour et la douceur que cette mère avait dû offrir à son enfant. Il y avait quelque chose de vivant dans ce dessin.
— Elle est belle, hein, ma maman ?
— Oui elle est très belle…
Carlos avait envie de lui dire qu’elle ressemblait à sa maman à lui aussi. Mais c’était quelque chose de trop profond, de trop intime pour être avoué. Il faudrait encore du temps.

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