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Carlos et Enrique avaient enfin réussi à atteindre le Texas. Ils avaient perdu quelques jours de voyage à attendre les autorisations pour la frontière mais la vitesse de ce train les aiderait à rattraper leur retard.
Les pleines arides et désertiques du sud des États-Unis défilaient pendant ce temps sous leurs yeux. De temps à autre, ils croisaient une ferme entourée de quelques bovins. Et puis cette étrange terre de solitude refaisait surface. Parfois, quand Carlos regardait au loin les herbes sèches qui ondulaient sans fin sous le vent, il réalisait qu'ils étaient seuls, seuls au milieu de cette terre inconnue. Cette pensée lui faisait peur. Et pourtant, il y avait quelques choses d'apaisant dans ce désert, quelque chose de solide, de stable, de rassurant.

— Carlos… Je m'ennuie…
— Tu as fini ton dessin ?
— Non mais j'en ai marre.
— Qu'est-ce que tu veux faire maintenant ?
— Je sais pas… Je m'ennuie…
Enrique regardait ses pieds se balancer.
— Tu veux pas venir voir le paysage ?
— Je l'ai déjà regardé tout à l'heure.
— Alors j'ai pas d'idée moi…
Silence.
— Vous pouvez me raconter une histoire Carlos ?
— Une histoire ?
— Oui une histoire.
— Mais je connais pas d'histoire !
— S'il vous plaît ! Une histoire de quand vous étiez petit alors…
— Quand j'étais petit ?
Carlos avait l'air très surpris de la demande du jeune garçon. Il semblait soudain réaliser qu'il avait un jour été petit.
— Ben oui, quand vous étiez enfant. Comme moi quoi !
Carlos était un peu gêné.
— Je sais pas… Je…
Enrique se releva brusquement.
— Attendez, vous avez bien été enfant un jour ?
— Oui Enrique, bien sûr, comme tout le monde.
Il parut soulagé.
— C'est juste que j'ai pas vraiment de souvenirs de mon enfance.
— Ah bon ? Vous perdez la mémoire ?
Carlos sourit devant l'innocence du jeune garçon.
— Non, Enrique, non. Mais ça fait très longtemps que j'y ai pas pensé.
— Écoutez Carlos.
Enrique avait pris un air sérieux.
— Ma maman avait pleins d'histoires de quand elle était petite. Alors vous aussi vous devez en avoir. C'est sûr.
Enrique parlait avec conviction. Il se tenait fière, droit, sûr de lui. Et en même temps il avait presque pitié de voir la difficulté avec laquelle son ami semblait se rappeler de son enfance.
— Tu dois avoir raison petit, fit Carlos en souriant.
Il soupira et réfléchit quelques instants.
— Ça te va si dans l'histoire je suis pas vraiment… enfant.
— Ça dépend. Quel âge ?
— Seize ans.
— Oui seize ans ça passe. Dans tous les cas, tant que vous me racontez une histoire…
— D'accord, alors…
Carlos prit une inspiration.
— Ça se passe dans un pays lointain, de l'autre côté de la mer.
— Dans quel pays ?
— Tu veux vraiment le savoir ?
— Oui.
— Alors ça se passe au Portugal.
— Ah… je connais pas.
Carlos attrapa le petit carnet de cuir rouge et dessina approximativement la carte du monde.
— Tu vois, nous on est là. Et le Portugal c'est ici.
— Mais c'est super loin !
— Je te l'ai dit : ça se passe dans un pays lointain.
— Ah oui c'est vrai.
— Donc, je disais, au Portugal, je vivais dans une ville qui s'appelle Lisbonne.
— Avec vos parents ?
— Non tout seul, et donc…
— Attendez Carlos !
Enrique venait de poser sa main sur le bras de son ami.
— Ça veut dire que vous êtes pas né au Mexique comme moi ?
— Non.
— Ni au Brésil ?
— Non plus.
— Ni dans tous les autres pays d'Amérique ?
— Oui c'est ça. Mais Enrique, si t'arrête pas de m'interrompre je pourrais jamais raconter mon histoire !
— Ah oui pardon.
Enrique se calma un peu et écouta attentivement. Carlos, lui, s'apprêtait à raconter une partie de sa vie dont il n'avait presque jamais parlé. En disant un peu plus tôt qu'il ne pensait jamais aux souvenirs de son passé, il avait omis volontairement de préciser que c'était parce qu'il les enfouissait au plus profond de sa mémoire, là où tout semble oublié à jamais.

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