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Carlos et Enrique venaient de monter dans l’autobus. Le jeune garçon avait voulu s’asseoir à côté de la fenêtre. Carlos n’y avait fait aucune objection, au contraire. Le paysage le divertirai.
Dans un bruit de moteur assourdissant, l’autobus démarra et fila de Mexico vers les plaines du Coahuila. Plus il s'enfonçait, plus il s’éloignait des forêts verdoyantes et plus le paysage devenait sec, aride. Seul le fin sillon poussiéreux tracé par les roues des véhicules donnait un semblant de civilisation à ce désert de sable et de rocaille. Le vert pâle des cactus avait remplacé celui flamboyant de la forêt. Les petits oiseaux qui chantaient dans les branches eux aussi avaient disparu.
Enrique avait le visage collé à la vitre. Ses jambes encore trop courtes pour atteindre le sol se balançaient doucement d’avant en arrière.
— Carlos ? Pourquoi on va aux Etats-Unis ?
Le jeune garçon n’avait pas oublié ses petites questions sur le bord du chemin.
Carlos tourna la tête vers lui. Maintenant qu’Enrique partageait son voyage, il ne pouvait plus rester silencieux quant à ses intentions. Mais comme s’il avait trop de pudeur pour avouer ses projets tout seul, il sortit le petit carnet rouge et l’ouvrit à la première page.
— Tu te souviens de ces papillons ?
— Oui, vous m’aviez dit qu’on les appelle les Monarques.
— Exactement. A cette période de l’année, les Monarques quittent les forêts du Mexique et s’envolent vers le Canada.
Tout en parlant, il avait tracé une carte sur une page blanche de son carnet. Il était maintenant en train de dessiner l’itinéraire que suivaient les fragiles papillons.
— Et donc, on va faire le même voyage ?
— C’est ça.
— Même si vous êtes pas d'accord, moi je trouve quand même que vous êtes señor Mariposa.
Carlos sourit.
— Carlos ? Vous avez un papa et une maman ?
Celui-ci sursauta. Il n’était pas encore habitué à l'imprévisibilité des questions du jeune garçon. 
— Oui bien sûr.
— Et ils sont encore vivants ?
— Oui… enfin je crois. À vrai dire je ne sais pas.
Tout en répondant à la question d'Enrique  Carlos venait de réaliser la portée de son ignorance.
— J'espère qu'ils sont encore vivants vos parents. Parce que moi j'étais très triste quand ma maman est morte.
Enrique avait parlé avec tant de douceur et de naturel. Il avait dit ce qu'il avait au fond du cœur.
— Tu avais quel âge ?
— Six ans.
— Et tu étais déjà au village ?
— Oui. Ma maman est arrivé au village quand j'étais bébé. Elle, elle a grandit dans un autre village. C'est là qu'elle a rencontré mon papa. Ma maman aimait beaucoup mon papa et lui je sais pas s'il aimait ma maman, elle me l'a jamais dit. En tout cas, un jour elle lui a appris que j'étais dans son ventre. Et là mon père a disparu, comme ça, du jour au lendemain. Ma maman aussi est partie de son village à ce moment-là. Peut-être qu'elle voulait essayer de le retrouver. Elle a voyagé vers le sud et c'est comme ça que je suis né, au milieu des montagnes de la Sierra Nevada mexicaine. Et puis ma maman a trouvé ce village et on y est resté.
Tout en racontant son histoire, Enrique avait attrapé le carnet et commençait à dessiner. À dessiner sa vie. Carlos, lui, écoutait avec attention le jeune garçon.
— C'est drôle parce que,  comme vous, ma maman ne savait pas si ses parents étaient vivants. Elle me disait qu'un jour peut-être je les rencontrerai. Alors je lui demandais pourquoi elle ne voulait pas aller les voir maintenant. Mais elle me répondait juste que je comprendrais plus tard. Alors j'attends, j'attends de comprendre.
Carlos, lui, avait compris. 

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