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Senhor Borboleta se dirigeait calmement vers la porte d'entrée. Il était 8h du matin. La maison était calme. La vieille cuisinière et le vieux jardinier n'étaient pas encore arrivés. Carlos, lui, travaillait déjà. Senhor Borboleta ne lui avait pas dit où il souhaitait aller. Il mit son chapeau de velours sur sa tête et partit vers la ville.
Carlos et Amelia s'aimaient, il le savait. Mais il savait aussi ce que les parents de sa nièce en penseraient. Il n'y avait d'ailleurs pas besoin d'être savant pour le deviner. Il suffisait juste de se poster devant leur belle maison bourgeoise plantée au milieu du plus riche quartier du port et de repenser à la situation dans laquelle nous avions trouvé Carlos dans son petit restaurant de Lisbonne. Un serveur avec une demoiselle. Ce n'était pas vraiment ce à quoi rêvaient les parents d'Amelia. Sauf si…

Senhor Borboleta frappa à l'imposante porte de bois qui marquait l'entrée de la maison. Un domestique vint lui ouvrir et il pénétra à l'intérieur des murs de pierre. Il se retrouva alors dans le hall, tout tapissé de rouge, qui donnait sur un escalier de chêne massif duquel descendit, quelques secondes plus tard, Amelia, attirée par le bruit de la porte d'entrée.
— Mon oncle ? Je suis contente de vous voir ! Qu'est-ce que vous faites là ?
Et se perchant sur la pointe de ses pieds, elle embrassa son oncle sans attendre sa réponse.
— Tes parents sont là Amelia ?
— Oui, ils viennent de terminer le petit déjeuner. Mais…
Amelia fut coupée par des pas qui venaient de l'escalier.
— Ah Luís, c'est toi. Que nous vaut l'honneur de ta visite ?
La voix de la mère d'Amelia était toujours un peu pinçante quand elle s'adressait à son frère. Comme si la jalousie enfantine de l’aînée ne l'avait jamais quittée.
— Je suis venu pour vous parler, à toi et à ton mari.
— Ah ? Et bien tu peux monter, il est en haut.
— Je peux venir ? demanda doucement Amelia.
Senhor Borboleta lui posa la main sur l'épaule.
— Non pas cette fois.
Et derrière le pas déterminé de sa sœur, il monta, laissant Amelia absorbée dans ses pensées.

Senhor Borboleta redescendit une demi-heure plus tard. Amelia était toujours dans l'entrée. Elle avait attendu là, assise sur la banquette, en face de la pendule comptant chaque minute et chaque seconde. Le temps lui avait paru long, tellement long. Mais lorsque son oncle arriva en bas de l'escalier, elle fut rassurée de voir qu'il semblait satisfait. Senhor Borboleta n'était pas très expressif. Son visage dévoilait toujours ses sentiments avec parcimonie. Mais Amelia le connaissait bien.
— Tiens ! T'es encore là toi ?
— Je peux vous raccompagner mon oncle ?
— Si tu veux, fit-il en remettant son chapeau.
Et tous deux bras-dessus bras-dessous rejoignirent la rue animée.

— Vous avez parlé de Carlos. C'est ça ?
Elle avait attendu d'être presque arrivé à la fin du chemin pour poser la question.
— Peut-être…
— Je le sais, mon oncle. Je l'ai compris quand vous m'avez regardé en entrant. Qu'est-ce qu'ils ont dit ? Dites-le moi s'il vous plaît…
Senhor Borboleta s'arrêta. Il observa la pente escarpée qui menait jusqu'à chez lui. Puis lentement, comme pour faire durer l'attente, il tourna la tête vers sa nièce.
— Ils sont d'accord.
Amelia se jeta immédiatement dans les bras de Senhor.
— Oh merci, merci, mon oncle !
— Allez, allez c'est rien fit-il en la repoussant un peu.
— Mais si, ça représente beaucoup pour moi, et vous le savez…
Senhor Borboleta sourit et tranquillement ils reprirent leur marche.
— Mais dites-moi comment vous avez fait pour les convaincre ?
— Eh bien je leur ai seulement dit que j'allais augmenter son salaire et que désormais il ne serait plus mon assistant mais mon associé.
Amelia leva la tête vers son oncle. Elle lui sourit de ce sourire qui vaut mille mercis.
— Vous me surprenez vous savez…
— Ah bon ?
— Je ne pensais pas que c'était un sujet qui vous intéressait…
Senhor Borboleta rit un peu.
— Tu ne pensais pas que je me soucierai de la futur vie de ma nièce ?
— Si bien sûr… mais vous êtes tellement passionné par vos recherches que je n'aurais pas pensé que vous viendriez à notre aide avant même qu'on vous le demande. Mon oncle, sérieusement, pourquoi vous avez fait ça ? Et ne me dites pas que c'est parce que vous voulez que je sois heureuse, ça je le sais déjà. Mais pourquoi ?
Senhor Borboleta s'arrêta et clignant gentiment de l'œil.
— Ça c'est un secret…
Oui, car Amelia avait raison. Senhor Borboleta n'avait pas fait tout cela seulement pour le bonheur de sa nièce ou de Carlos. Il était animé par quelque chose de plus ancien, de plus tranchant, un sentiment que l'on nomme regret. Regret de n'avoir jamais pu se marier avec celle qu'il aimait. Parce qu'elle était bien trop riche et lui bien trop pauvre. Parce que son père à elle était médecin, sa mère presque duchesse et que son petit boulot à lui peinait à financer ses études.
Deux mondes trop différents et peut-être pas assez de courage. Quoi qu'il en soit c'était du passé qu'il était bien trop tard pour changer. Il ne restait plus que le présent, et le futur… Mais cela, comme l'avait dit Senhor Borboleta, c'était un secret…
Amelia reprit sa marche d'un air faussement vexé.
— D'accord, j'arrête de vous poser des questions. Mais vous me surprendrez toujours Senhor Borboleta…
En même temps, Senhor Borboleta sans un peu de mystère ça ne serait pas vraiment Senhor Borboleta.
Sur ce, Amelia ouvrit la porte et entra joyeuse dans la maison de son oncle.

Carlos était encore et toujours dans la bibliothèque. Il était penché sur son carnet, un crayon à la main, et ne releva la tête que lorsqu'il entendit Amelia à côté de lui. Elle lui souriait, ses yeux pétillants de bonheur.
— J'ai quelque chose à t'annoncer.
Carlos la regarda curieux puis jeta un coup d'œil à Senhor Borboleta posté en arrière plan. Devant le silence impatient Amelia se lança :
— Je vous présente M.José Carlos Costa, l'associé du célèbre Senhor Borboleta !
Aucune réaction.
— Ben alors, tu dis rien ?
Carlos restait immobile.
— C'est vrai… ?
— Mais bien sûr que c'est vrai !
Et d'un coup Carlos bondit de joie. Il sauta dans les bras de son ami.
— Oh merci ! Merci ! Merci !
Senhor Borboleta souriait. Il riait à l'idée qu'il ne faut pas grand chose pour rendre des enfants heureux. Il riait devant le bonheur et la joie de ceux qu'il aimait tant.
Amelia s'était penchée sur la table. Elle avait attrapé le dessin de Carlos et le contemplait admirative.
— Une carte ? C'est quoi ?
Carlos s'approcha d'elle.
— C'est la migration du Monarque. Chaque année, ils partent du Mexique et volent jusqu'au Canada.
Amelia resta pensive.
— J'aimerai faire le même voyage qu'eux.
Puis elle tourna la tête vers lui. Leurs yeux se rencontrèrent.
— Un jour je t'y amènerai… souffla-t-il finalement.
Sans rose, ni bijoux, c'était sa déclaration.

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