CHAPITRE 3

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NASH

Éris Murphy putain ! Jamais je ne me serais attendu à voir débarquer ce fantôme de mon passé après toutes ces années et jamais je ne me serais attendu à ce qu'elle soit devenue si... femme. Ouais, femme est le bon mot. Elle ne ressemble plus en rien à l'adolescente qui passait son temps à se rendre la plus invisible possible et bon sang, elle ne peut désormais qu'attirer l'œil. Entre sa silhouette élancée, ses cheveux roux et ses formes de mannequins, elle ne peut plus se comporter comme un fantôme. Pourtant, alors même qu'elle était sur le pas de ma porte à quémander mon aide, elle continuait de s'effacer et de se faire la plus petite possible. Il faut croire que certaines habitudes ne changeront jamais.

Bordel, la recroiser ce matin est de loin la chose la plus perturbante qui m'est arrivée ces dernières années. Je savais que mon passé allait tôt ou tard refaire surface, mais je ne m'attendais pas à ce qu'il ait la forme d'une Déesse. Je m'attendais à des bains de sang et des menaces, pas à un appel à l'aide pour aller chercher des clébards.

J'aurais aimé qu'elle ne vienne jamais me rappeler ce passé que j'essaie d'oublier, et encore moins qu'elle parvienne à faire naître en moi un sentiment de pitié. Je ne suis pas un saint, ça je le sais, pourtant lorsque je repense à cette petite fille dont je gardais la porte, j'ai une putain d'impression de me sentir redevable. Je me demande bien pourquoi, parce que je ne lui dois rien. Peut-être qu'une partie de moi a honte de ce que j'ai laissé faire tant d'années alors que j'aurai dû réagir bien plus tôt.

C'est dur à assumer pour un mec comme moi, mais j'ai beaucoup pensé à elle ses dernières années loin du manoir. Même si on ne peut pas dire que je la connaissais vraiment, je savais ce qu'elle vivait et ce que son père lui faisait subir. Alors quand je suis parti, nombreuses sont les fois où je me suis demandé ce qu'elle était devenue. Je me souvenais à peine de son visage, pourtant je voulais savoir si Alexander avait fini par la tuer ou si elle avait rejoint ses rangs. Jamais je n'aurai cru possible qu'elle ait tenu si longtemps sans lui céder.

Je me suis souvent demandé ce qu'il se serait passé si je l'avais embarqué avec moi au lieu de fuir comme un voleur. Parce que pendant que je tentais de reprendre une vie normale, elle vivait un enfer.

– Lewis ! Bouge ton cul, la vidange ne va pas se faire seule !

Je me retourne vers le type aigri qui me sert de patron depuis presque deux ans et me retiens comme chaque matin de lui balancer mon chiffon sale à la gueule. Je me remets au travail et essaie d'oublier ce fantôme qui ne semble pas vouloir quitter mon esprit. Je suis perturbé de la savoir seule et lâchée dans la nature après tout ce temps. Ayant grandiemprisonnée dans sa chambre, elle ne parviendra jamais à se faire une place dans notre société et je ne vois pas comment elle parviendra à se cacher de son père. Alexander est un poison qui la traquera sans relâche jusqu'à ce qu'il la trouve et ça ne sera pas compliqué. Il a un contrôle presque total sur la ville. C'est pour cette raison que je dois me tenir le plus éloigné possible des emmerdes. C'est déjà un miracle qu'il ait accepté de me laisser partir en vie alors aider sa fille ne fera que signer mon arrêt de mort. Je suis cuit...

Je refuse que cet enfoiré puisse retrouver une quelconque influence sur moi. Tout ça c'est du passé. J'en ai bavé pour me reconstruire une vie à peu près honnête après tout le mal que j'ai fait et j'en ai encore plus bavé lorsque j'ai pris conscience du monstre que je suis devenu. C'est pour ça que je sais que Lucas est condamné. Il l'a été à la minute où il a laissé son père s'introduire dans son cerveau. Si je suis parvenu à m'en sortir, c'est grâce à un miracle et à cause de l'erreur de cette enflure. Il savait que tant que quelqu'un me rattachait à mon humanité, je ne lui serais jamais entièrement dévoué. Alors lorsqu'il m'a demandé de tuer mon propre père, mon cerveau s'est comme reconnecté à la réalité. En pressant la détente lui-même, Alexander a brisé toute la loyauté que j'avais envers lui. C'est comme si j'étais brusquement revenu dans la réalité et que j'avais repris mes esprits. Puis aussi étonnant que ça puisse paraître, quand il a compris qu'il m'avait perdu pour de bon, il n'a pas cherché à me tuer. Il m'a simplement laissé partir. Ça n'avait aucun sens et ça a surpris tout le monde, néanmoins je ne me suis pas fait prier et suis parti. Mais c'était trop tard, le mal était fait et j'ai laissé Alexander me transformer en machine de guerre.

À la seconde où je suis rentré chez moi ce jour-là, je me suis effondré. J'étais seul dans cette grande maison dans laquelle j'avais vécu les meilleures années de ma vie avec mes deux parents et plus aucun des deux n'étaient là. Ils étaient morts et en ce qui concernait mon père, tout était de ma faute. Alors je me suis effondré. Ça a duré une nuit entière, mais au leverdu jour, j'étais déterminé à bien faire les choses et à me rattraper.

Mon premier acte pour redevenir un homme bon a été de me rendre une dernière fois – en cachette – au manoir, cette fois-ci accompagné du chiot que mon père venait d'adopter. J'étais trop instable pour m'en occuper et je voulais qu'il trouve quelqu'un qui pourrait l'aimer corps et âme. Pas quelqu'un comme moi.

En voyant sa petite bouille de bébé malinois, j'ai aussitôt su à qui je voulais le confier. Quelqu'un qui prendrait soin de lui tout comme ce chien parviendrait à prendre soin d'elle. Éris. Je ne voyais personne de mieux qualifié que cette fille. Cette même fille que j'ai connue alors qu'elle n'avait que sept ans et moi quatorze. Cette fille que j'ai vu grandir, dont j'ai suivi l'adolescence, ses traumatismes. Je me souviens encore de toutes ces nuits que j'ai passées devant la porte de sa chambre pendant que j'étais en formation. Je devais l'empêcher d'en sortir et empêcher quiconque d'entrer alors j'ai pu remarquer à quel point elle était seule et malheureuse. J'étais présent la plupart des fois où son père la battait jusqu'à ce qu'elle s'effondre et c'était moi qui appelais le médecin à chaque fois. Pourtant, jamais je n'ai réagi et jamais je n'ai essayé d'interrompre ce mal qu'on lui faisait subir. Alors ouais, quand j'ai vu ce pauvre chiot dont le maître venait d'être assassiné, elle est la seule personne à laquelle j'ai pensé. Je savais qu'ils parviendraient à se protéger l'un l'autre et savoir qu'aujourd'hui ce chien compte pour elle au point qu'elle veuille partir dans une mission suicide pour le récupérer me touche. Elle est prête à mettre sa vie en danger pour ce clébard... Pour ses clébards.

Est-ce que je suis prêt à abandonner ma petite vie tranquille pour son regard effrayé et déterminé ? En vérité, je n'en sais trop rien. J'ai conscience que jamais je ne pourrai être un homme bon et que la vie que je mène ces dernières années ne me ressemble pas. Je suis fait pour vivre dans le danger et sur le terrain, néanmoins devoir me cacher jusqu'à la fin de mes jours simplement parce que j'ai décidé d'aider la mauvaise personne ne me fait vraiment pas envie. Je n'ai envie d'aucune de ces vies, mais en y réfléchissant, Éris n'a pas été entraînée à éviter chaque caméra de surveillance qu'elle peut croiser et elle sait encore moins comment passer inaperçue. Si je la laisse tomber, elle est morte, alors que si je l'aide... Je pourrais le faire. J'ai déjà tout prévu. À l'instant même où j'ai quitté le manoir, j'avais déjà tout prévu pour le jour où Alexander déciderait de me retrouver. J'ai le moyen de nous cacher tous les deux.

Je suis en mesure de la faire disparaître des radars le temps que ça se calme... Pourtant, je ne sais pas si je suis prêt à abandonner le semblant de vie que j'ai conduit au fil du temps et je ne sais pas si je suis prêt à le faire pour récupérer une maudite somme d'argent et des chiens. L'argent et l'amour ne servent à rien quand on est un homme mort.

Frustré de me retrouver aussi atteint par sa visite, je jette rageusement le contenu de mes mains sur le sol puis me relève pour reprendre mon chiffon. J'essuie mes mains pleines d'huile et me pose un instant contre le capot de la voiture. Pendant un instant, je ferme les yeux et remonte quelques années en arrière. Je me revois rester de marbre face à ses hurlements lorsque son père s'en prenait à elle. Je me souviens de chaque homme qui est entré dans sa chambre en ressortant les mains pleines de sang. Elle n'était qu'une gamine et pourtant je n'ai pas essayé de la protéger. Je n'étais plus un gamin depuis longtemps et entre la manipulation d'Alexander et la drogue qu'il me faisait prendre, j'étais comme hors de ce monde.

Je ne peux pas le laisser remettre la main sur elle et c'est ce qui va arriver si elle se ramène seule au manoir.

Après un long soupire, je jette le chiffon qui rejoint le reste de mes outils sur le sol puis avance jusqu'à la sortie du garage.

– Je peux savoir où tu vas ? me hurle l'homme qui me sert de patron.

Je ne prends pas la peine de me retourner et continu d'avancer vers la sortie en sortant mon majeur en guise de réponse.

Il va falloir que j'aille chercher mes armes...

The Hunt of FreedomOù les histoires vivent. Découvrez maintenant