Kaliora, la dernière terrienne, Tome 2

Chapitre 18

Lesaventuriers visitèrent encore de nombreux souvenirs. Des plus heureux, des plus tristes. Des journées d'été de leur enfance et des jours de pluie où ils n'avaient que la solitude à leurs côtés. Aucune faille n'était apparue, pas même une seconde, pouvant leur permettre de sortir de cet endroit où le temps semblait si long et si court à la fois. Prisonniers de leurs souvenirs, ils n'avaient qu'à les explorer de nouveau.

— Alors j'accepte de t'emmener avec moi et tu t'amuses à me tirer la langue dans le dos ?

Lüka pointait du doigt le souvenir de Lyuri un an plus tôt, lorsqu'ils venaient tout juste d'arriver sur Kior et qu'ils cherchaient le campement en piteux état. L'adolescente fraichement libérée du pensionnat suivait Lüka en trainant des pieds, tandis que le chasseur de trésors avançait rapidement à grandes enjambées. Épuisée, elle lui avait tiré la langue lorsqu'il lui avait refusé une pause.

— Pour ma défense, tu marchais tellement vite que je devais presque courir pour arriver à te suivre !

Ils sortirent du souvenir lorsque la neige commença à tomber. Combien en avaient-ils visité ? Une trentaine au moins, peut-être plus... Ils avaient pourtant la sensation d'avoir débarqué dans cet endroit sombre et sans vie seulement quelques minutes auparavant.

Tout ces souvenirs leur donnaient le tournis. C'était si étrange de voir leur vie devant leurs yeux, d'en être les spectateurs et de revoir son passé. C'était comme s'ils regardaient un film autobiographique de presque leur naissance à aujourd'hui. Ils s'étaient vus tout jeunes, puis s'étaient vu grandir et évoluer au fil des souvenirs.

Lüka avait vu la petite fille souriante qu'était Lyuri lorsqu'elle vivait dans sa Bulle-campagne, joyeuse et pleine de vie, qui adorait faire tournoyer ses jupes sous le Soleil et jouer avec ses frères et sœurs dans les champs de fleurs que cultivaient sa mère. Puis il l'avait vu au pensionnat alors qu'elle était devenue une machine en mode automatique, en cours du soir au matin, travaillant toute la nuit, mettant sa santé en jeu pour faire parti de l'élite et ne jamais aller dans la chambre noire. Il l'avait vu se faire cracher dessus, se faire moquer, être seule à chaque pause, plongée dans un livre ou dans un cahier. Il n'avait pas réaliser en la rencontrant à quel point elle était forte. Elle s'était battue pendant des années, contre elle-même, contre le monde, et malgré tout, elle arrivait encore à sourire.

Quant à Lyuri, elle était heureuse d'en avoir appris plus sur Lüka, lui qui était si secret sur son passé. Mais combien de fois avait-elle eu envie de pleurer ? Combien de fois avait-elle eu envie de le prendre dans ses bras et de lui dire qu'il n'était pas seul, qu'il ne le serait jamais plus ? Il était tellement différent avant que son père ne disparaisse, un petit garçon curieux et casse-cou, toujours en quête de nouvelles choses à découvrir. Elle comprenait maintenant pourquoi il était si solitaire et si secret. Il n'avait jamais eu personne à part sa mère. Le village le craignait à cause de ses yeux et de ses pouvoirs transmis par son père, et il lui en voulait. Il lui en voulait de lui avoir donné des flammes et des iris jaunes, il lui en voulait d'être parti et d'avoir entendu tout ce que les gens disaient à propos de lui. Il lui en voulait de n'avoir jamais été là pour le protéger. Il avait transformé sa peine en une haine pure pour se protéger du monde extérieur et s'était enfermé dans une carapace plus solide que de l'obsidienne pour faire face au monde. Elle avait toujours admiré sa force, mais à présent, elle comprenait qu'il était brisé et avait dû se construire entièrement seul.

Ils attendirent qu'une nouvelle lueur apparaisse pour rentrer à l'intérieur. Il faisait sombre. La roche violette formait un long couloir sans fin.

— C'est à toi, ce souvenir ? demanda Lüka à mi-voix.