Chapitre 1

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Lüka posa le carnet sur le petit bureau en bois et recula jusqu'à ce qu'il heurte le lit et se laisse tomber dessus. Il plongea son visage humide dans ses mains. Il prit une grande inspiration. Ses yeux étaient rougis et sa gorge nouée.

Tout ce temps elle l'avait cru mort... Et lui qui s'était battu pour la retrouver le plus vite possible. Plus de 457 jours s'étaient écoulés sur Kior. 457 jours, mort.

Il passa un revers de manche sur ses yeux et se laissa tomber en arrière. Quelques secondes pour tout encaisser seraient les bienvenues. Il mourrait d'envie de la serrer à nouveau dans ses bras, lui dire qu'il était là, bien vivant, et que jamais plus il ne disparaitrait. Jamais plus il ne la laisserait seule.

Tellement de choses s'étaient passées depuis Kaliora. Il avait cru être mort, lui aussi, lorsqu'il s'était réveillé sur cette parcelle de terre en plein milieu d'un champ, caressé par les rayons d'une étoile. Il se souvint de la sensation d'un bâton qui appuyait sur sa joue, des cris des enfants lorsqu'il avait ouvert les yeux. Puis de l'espoir qui était né au fond de lui lorsqu'un vieux paysan vint s'assurer de sa santé. Il se rappela s'être mis à pleurer lorsqu'il comprit qu'il était tout près de chez lui, à quelques fragments de planète ; et d'avoir pleuré encore plus lorsqu'il comprit que Lyuri était resté seule sur Kaliora.

Il avait emprunté l'un des tunnels qui reliait les différents fragments d'Ural afin qu'ils restent connectés entre eux. Et pour la première fois depuis une éternité, il foulait sa terre natale. Une vive émotion l'avait saisis à ce moment-là. Il avait traversé collines et prairies, affronté de nouveau les regards noirs des villageois qu'il avait croisé et, au détour d'un cour d'eau, il avait emprunté un pont en bois mousseux et rejoint sa maison d'enfance à l'écart d'un petit village.

Comme si elle avait été avertie de son retour, sa mère sortait tout juste dans la cour. Ses longs cheveux noirs étaient attachés en une queue de cheval basse, ses yeux bleus étaient cernés, sa peau plus pâle qu'elle ne lavait jamais été. Mais elle se tenait là, juste devant la porte de la petite masure.

Elle s'effondra à genoux. Son fils était parti deux années entières et il était enfin de retour. Et elle savait qu'il avait réussi, son état de santé s'était amélioré du jour au lendemain, sans crier gare, et une douce chaleur embaumait son cœur chaque jour jusqu'à son retour. Lüka s'était agenouillé devant elle et l'avait pris dans ses bras.

— Qu'est-ce que tu as grandi, lui avait-elle dit en caressant son visage. Tu es tellement beau...

Il lui raconta tout son voyage, lui parla de Lyuri, de Kaliora. Puis son regard s'assombrit lorsqu'il aperçut, dans l'encadrement de la porte, la silhouette de Lupus. Son regard s'assombrit aussitôt. Le charme ayant été rompu, il pouvait retourner auprès de celle qu'il aimait. Mais si sa mère l'avait sans doute pardonné, Lüka, lui, n'était pas prêt de le faire.

Il passa deux ou trois jours avec sa mère et Lupus pour se reposer. Comme lorsqu'il était plus jeune, il aidait sa mère dans son travail et ses corvées, dégustait ses petits plats délicieux, profitait du ciel clair d'Ural. Sa mère semblait si heureuse d'avoir retrouvé les deux grands amours de sa vie. La maladie n'affectait plus son corps et elle rayonnait comme dans les tendres souvenirs d'enfance de Lüka.

Mais les retrouvailles furent de courtes durées. Il devait aller retrouver Lyuri. Il laissa sa mère une seconde fois, à contre cœur, mais il savait que cette fois ci, elle ne serait pas seule et qu'il reviendrait bien plus vite.

Dans la précipitation, il oublia la carte de Kaliora chez lui, alors il s'aventura à l'aveugle en direction de la Terre, enchainant vaisseau sur vaisseau. Le temps pressait et ne s'écoulait pas partout de la même manière, il ne savait pas comment il allait la retrouver. Mais alors qu'il fit une halte sur Jupiter, il apprit la triste nouvelle. La Terre, du jour au lendemain, avait disparue, explosée, créant d'énormes dégâts sur Mars. L'avaleuse de monde s'était vengée. Un bien contre un souhait.

Alors il se rendit sur Kior. Une fois atterri, il fut guidé par la carte vers un ranch dans les campagnes de Kalevnia, sans même prendre le temps de rendre visite à ses amies d'enfance. Plus il approchait, plus son cœur battait la chamade. Combien de temps s'était-il écoulé pour elle ? A quoi pouvait-elle ressembler ? Que pouvait-elle faire ici ? Comment réagirait-elle en le voyant ? Il avait tellement hâte !

Et lorsqu'il la prit dans ses bras un peu plus tôt dans la journée, il profita de l'odeur de son shampoing, caressant sa longue chevelure, plongeant sa tête au creux de son cou. Il eut la sensation que quelque chose explosa dans son corps, courut le long de ses veines, parcouru son dos dans un frisson.

Il s'allongea sur son lit, mais il ne tenait plus en place, alors il se releva presque aussitôt. Il se leva et, déterminé, il parcourut le couloir sombre en laissant la porte de sa chambre entrouverte pour avoir un peu de lumière. Le plancher craqua sous ses pas. Il s'arrêta devant la porte de Lyuri. Il hésita, puis donna deux petits coups à la porte.

— Lyuri, appela-t-il à mi-voix.

Il attendit quelques secondes,espérant une réponse, mais il n'eut rien. Il tendit l'oreille. Pas un bruit.Déçu, il retourna dans sa chambre et s'installa sur son matelas trop froid ettrop mou, en attendant que le sommeil vienne à lui

Kaliora, la dernière terrienne, Tome 2Où les histoires vivent. Découvrez maintenant