Chapitre 18 - Rencontre royale

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Alors que le château se dévoilait enfin, je ne faisais que me répéter ce qu'avait conseillé le caporal Heden.

« Le protocole ? »

Je voyais très, très lointainement ce que ça signifiait. Si lointainement, que le mot semblait dire : « pas la peine de t'encombrer de ces bêtises ». Sauf qu'une ribambelle de gardes longeait les escaliers. Qu'un château s'élevait au-dessus de ma tête, et que ça suffisait pour se sentir écrasé. A chaque marche franchie, j'espérai me souvenir de ce fichu protocole, de plus en plus fort.

Mais, bon sang, pourquoi ? Les voyages en voitur, en Galliem, en panier et en corde, tout ça était déjà assez fatigant. Je voulais juste récupérer l'oiseau, pas la peine de rencontrer une reine.

Mes souvenirs fouillaient leurs maigres archives, à la recherche de tout ce qui pouvait y ressembler. La tévé avait bien dû montrer une reine dans les feuille-thons. Alors que la croks se soulevait de la dernière marche, je m'imaginais devant une de ces souveraines surmaquillées, à la saluer front contre terre. Mes pas s'alourdissaient, me trainaient toujours vers les portes. Je ne me vis pas passer du sol blanchâtre à un parterre de marbre et mosaïques.

Quitter le vent de la plaine donnait l'impression de pénétrer le silence lui-même. Plonger dans la pénombre, après cet éclat blanc féroce, fut comme entrer dans la nuit noire. Mes pensées s'évanouirent. Restèrent mes battements de cœurs réguliers, qui me forcèrent à ralentir.

Dans les odeurs de pierre froide et d'encens, je découvris d'abord la blancheur. Cette grande salle, même protégée du soleil, ne manquait ni de pureté ni de lumière. L'allée centrale, où j'avançais, était bordée de colonnes ornementées, dont la hauteur seule rivalisait avec celle de la caserne. Des dizaines d'alcôves les surmontaient, emplies de statues à l'effigie des armures de l'entrée. Les plafonds culminaient en blanches croisées d'ogives, illuminées par de fines ouvertures dans les parois. Les rayons tombaient ici sur des arabesques, ici sur des losanges taillés dans la pierre pâle. Des dorures réhaussaient le décor, mais leur placement discret ne faisait qu'affirmer le blanc, toujours le blanc.

Un trône de marbre et d'or surveillait les lieux, du fond de la salle. Vide, éclairé d'une descente de rayons, il toisait l'allée depuis son promontoire.

A ses pieds, une silhouette en uniforme gesticulait : un soldat rompu, trop négligé pour ce lieu, trop nerveux, trop bruyant. Galliem se tortillait, deux armures dans son dos, et des fers aux poignets.

Mon sang ne fit qu'un tour.

— Qu'est-ce que vous faites ? hurlai-je en m'élançant vers eux.

Le cri résonna longtemps dans la salle, entrecoupé des couic de la croks sur le marbre. Dans ma course, du coin de l'œil, je sentis une ondulation se propager en haut des murs. Les dizaines d'armures des alcôves, ensemble, avaient penché leur heaume sur moi.

Je déglutis. Cette salle n'était pas aussi vide qu'elle le paraissait. Vérifier les environs ne fit que me le confirmer.

Ils étaient là-bas, au fond d'une contre-allée, derrière les colonnes, sous les arcades sombres d'un large couloir. Un troupeau de personnes en toges drapées avait interrompu sa sortie de la salle, pour m'observer. Je croisai des regards calmes et intrigués, d'autres légèrement courroucés, puis ces yeux, cyans, au centre de la foule, qui se distinguèrent des autres comme une lumière dans le noir.

Ma croks manqua de déraper.

Ces yeux, c'étaient ceux de cette femme. Cheveux blancs, longs, parcourus de fils d'or, tressés en une imposante coiffure qui descendait dans son dos, elle me fixait de son regard azuré souligné de rides légères, mieux que trois Heden ne l'auraient fait. Sa haute silhouette, élancée au milieu de toutes ces toges amples, était recouverte d'une robe blanche, débordante de broderies et de pierres étincelantes. Même à distance, elle respirait la grandeur, l'autorité, en un mot, la royauté. Elle était royale. Et cette couronne losangée, étincelante, posée en majesté sur sa tête droite, ne faisait que le confirmer.

L'Angevert | L'INTÉGRALEOù les histoires vivent. Découvrez maintenant