Chapitre 13 - Le panier

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Finalement, la brume, ce n'était pas si mal. Certes, les nuages trempaient mieux les vêtements qu'une doushe. Certes aussi, la morosité du paysage, combinée à ce vent obstiné, aurait eu de quoi rendre fou le meilleur paratutiste. Mais si on exceptait ces désagréments, on pouvait accorder aux nuages, qu'au moins, ils cachaient ce qui se trouvait sous nos pieds.

Cette montée vers Van-Ameria n'en finissait pas. Heureusement, il n'y avait pas que la brume pour me remonter le moral. L'air dans le creux du coude s'était avéré plutôt respirable. Les bretelles du sac vibraient de protestation sous mes genoux, preuve que ma sécurité tenait toujours. Galliem ne se lamentait pas, ne baratinait pas. A vrai dire, il ne parlait plus du tout.

Intriguée, je levai les yeux de son épaulière.

Le brouillard s'était épaissi depuis mon dernier coup d'œil sur les environs. Les ailes de Galliem y disparaissaient de moitié. Couvertes d'une pellicule de givre, chacun de leurs battements nous faisait comme bondir sur place.

Je reniflai, nez contre le biceps. Mes chevilles glissaient sur la ceinture de Galliem, je gigotai dans les sangles qui me sciaient les jambes. Les mains glacées du soldat ne soutenaient plus grand-chose de ma carcasse engourdie. Tendu des sandales à la tignasse, l'oiseau luttait pour nous porter, toujours plus haut. Les bourrasques jouaient avec lui comme avec un fétu de paye. Il ne restait rien de sa svelte silhouette qui paradait autour des moulins.

Nous étions haut. Nous étions fatigués. Impossible de se repérer, la brume cachait aussi bien le dessous de nos pieds que le dessus de nos têtes. Le vent retournait les plumes de l'oiseau, les battait dans trois directions opposées. Une giclée de pluie dans les yeux, je tentai de lui glisser un « ça va ? », quand une rafale nous claqua sur le côté.

Galliem me lâcha une abominable seconde. Je comprimai les bras autour de son cou, ses ailes bataillèrent pour ne pas dévier de trop, quand un autre courant nous traina vers un nuage noir. Un immense trait de lumière scinda la pluie. Le ciel entier se mit à gronder, j'eus l'impression de me trouver dans la bouche d'un géant en train de se racler la gorge.

« Mais où sommes-nous ? »

J'eus presque du mal à me le demander. Un cri émergeait de mes cauchemars, aigu comme une alarme. En deux ans sur Terremeda, je n'avais jamais greloté. Je ne m'étais jamais retrouvée tétanisée à des centaines de mètres du sol. Les battements d'ailes se succédaient, mais le vide nous attirait. Et cette réalité me retournait de l'intérieur : je ne pouvais rien faire.

« Que cherchions-nous ici ? »

J'en arrivais à l'oublier. Pourtant, entre deux hallucinations d'un filet épais et rugueux, je crus apercevoir notre destination. De hautes tours blanches. Un bâtiment flou et immaculé, déposé sur un sol de verdure.

Le vent nous frappa encore. Galliem convulsa, il vibrait, chemise trempée, anneaux envolés. Chaque rafale avalait la vigueur de ses ailes. J'aurais aimé le porter à mon tour, nous tirer hors d'ici à bout de bras. Mais quitte à admettre que tout reposait sur l'oiseau, que j'étais encore incapable de protéger qui que ce soit, je m'enfonçai plus profond dans les rêves.

Avec tout ce que nous traversions, mon esprit était déchaîné. A la seconde où je lui laissai carte blanche, la tempête se transforma en ciel d'azur. Des ailes glissaient dans les airs, longées d'un sifflement lisse, au cœur du vent. Le gris du sol devenait vert tendre, les éclairs se teintaient d'un vert émeraude revigorant. Une douce flamme courait au fond de nous, détendait les muscles meurtris, rafraichissait les pensées.

L'Angevert | L'INTÉGRALEOù les histoires vivent. Découvrez maintenant