Chapitre 45 - L'horizon des impossibles

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« Oublie ton frère un instant et lève-toi, Lyruan. »

— Tu plaisantes.

La simple pression de sa vie dans ma main me rendait malade. Malgré tout, la curiosité me poussa à le suivre. Je me mis debout sur le toit. Une patrouille fila non loin, je m'interposai pour camoufler Galliem pétrifié.

« Maintenant, fige les Sommets. »

— Entiers ? ris-je jaune.

Le paysage s'étalait jusqu'aux lointaines murailles, de l'autre côté de la plaine.

— Impossible. Il y a au moins quatre cent soldats en service à cette heure et je...

« Impossible n'existe pas te concernant, Lyruan. » coupa-t-elle.

Incrédule, je baissai le regard sur mes paumes. Les losanges brillants étaient réapparus. Ils flamboyaient, langoureux, du majeur au poignet.

« Sens ce qui t'entoure. »

Facile de comprendre ce qu'elle voulait dire. Le moindre soupir du vent, le plus petit balancement des brins d'herbe, l'effritement des murs, le pourrissement du bois de la maison... Jamais je n'avais perçu ce genre de détails, pourtant si évidents.

« Enserre-le dans tes mains. »

Les Sommets m'apparurent sous un autre angle. Tout ce que je voyais, tout ce que je sentais, je pouvais le figer ?

La magie tapait dans mon cœur. Il me sembla, un instant, qu'elle écoutait davantage ces paroles dans ma tête que je ne le faisais moi-même. Mon frère attendait sa liberté ; ma dernière pensée pour lui s'évapora comme ces flammes vertes, qui tourbillonnaient entre mes doigts.

« Le temps est tien. »

Un battement de volonté se répercuta jusqu'au plus profond de mon être. Quelque part, une lueur s'alluma, grandit, jusqu'à envelopper le paysage.

Avant même qu'il ne se forme dans mon esprit, j'oubliai tout concept de résistance.

Je cédai.

Comme de leur propre volonté, mes bras se levèrent au-dessus de ma tête, pour s'abattre vers le sol. Une violente déferlante explosa en direction des Sommets.

Des millions de pressions parcoururent ma peau. L'herbe, le vent, tout se figeait à une vitesse phénoménale. L'énergie s'affolait, elle tourbillonnait, m'éblouissait de l'intérieur. La vie s'arrêtait autour de la maison, parmi les patrouilles, dans la caserne de l'Armée Blanche.

Les vies se suspendaient. Elles restaient au creux de mes mains, comme autant de poupées manipulables à ma guise.

Au centre d'un déchaînement de force dont je n'avais pas conscience, j'entrouvris les yeux. Des lueurs dansèrent dans mon champ de vision, sur le sommet de Van-Ameria, qui se transformait. Cette aura, verte de domination, envahissait jusqu'aux teintes dorées du soleil couchant. La nature même n'y résistait pas. Je n'arrivai plus à me détacher de ce phénomène impossible, qui devenait réalité.

Mon esprit n'était plus qu'un embrasement perpétuel. La conscience de ce qui m'entourait se remplaçait par une rengaine incessante. Les Sommets. Les Sommets. Cette partie du monde serait bientôt mienne, j'allais le faire, je m'en approchais. Facile, facile, c'était si facile...

J'arrêtai tout.

Avec un effort auquel je ne m'attendais pas, je refoulai le pouvoir au fond de moi. La magie voulut continuer à se déployer, je luttai. La déferlante n'atteignis jamais les murailles. Les pressions sur ma peau se retirèrent une à une.

L'Angevert | L'INTÉGRALEOù les histoires vivent. Découvrez maintenant