Chapitre 16 - Atteindre les Sommets

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Il ne restait plus de grande distance à parcourir. Après quelques derniers chuintements dans les poulies, la corde rouge s'arrêta à proximité d'un parterre de dalles, terminé par un escalier blanc et propret. Les derniers mètres pour accéder au ciel se faisaient à pied, il fallait que je descende de l'installation.

— De l'aide, sergent ?

Je dévisageai le meneur des soldats, imprimai l'air pressé qui lui tendait les traits, et réalisai deux choses. Une, qu'il fallait vraiment descendre. Deux, que j'étais aussi raide qu'une statue, et dangereusement incapable de le faire.

— Non, merci.

J'aurais mieux fait de ne pas jouer les héros, pour une fois.

Au-dessus du gouffre de la galerie, je lançai mon pied nu vers la plateforme. Mais je n'avais pas senti que ma jambe s'était ankylosée, et était devenue aussi solide et fiable qu'un gros morceau de caoutchou. Les muscles se courbèrent sous mon poids. Mes mains lâchèrent les poignées une seconde trop tôt. Sidérée par la situation, je réalisai à peine que j'étais en train de basculer dans le vide, quand une main ferme agrippa mon bras.

Tirée en avant, mes jambes molles retrouvèrent le sol. Je m'éloignai du rebord en vitesse.

— La remontée depuis Terremeda a dû être rude, sergent, commenta le soldat, amusé. Permettez-moi de réitérer ma proposition. Vous semblez avoir besoin d'aide.

Le gouffre obscur de la galerie ressortait avec le blanc des dalles, j'avais l'impression qu'il m'aspirait.

— Vous avez peut-être raison, soldat, marmonnai-je.

— Caporal Heden, à vos ordres, me rectifia-t-il.

Il eut un geste vers l'insigne en losange qui pendait à son cou. Des deux losanges concentriques qui le composaient, le plus petit était peint d'un rouge lisse.

Bien, ce type était « caporal ». Il aurait pu être le cousin de la poule du mécano des paniers, ça ne m'aurait pas plus avancée.

J'avais des four-mies dans les pieds. Après un dernier regard pour mes étriers qui se balançaient lamentablement dans le vide, je gravis à petits pas les marches qui nous séparaient du sommet du nuage. Le bras en armure du caporal resta à portée de main, mais je ne le saisis pas. Une odeur d'herbe et de vent frais affluait depuis le haut de l'escalier, elle me faisait oublier cette mésaventure.

Un mélange de sensations se réveillait. Des images voulurent se reconstituer dans mon esprit, mes pas me portèrent en avant si vite que la croks se prit dans une marche.

Pourquoi avais-je l'impression que je retrouverais un paysage familier ? La découverte du sommet du nuage fit taire net cette idée.

Un château. Il y avait un château sur ce nuage.

Blanc comme nège, effilé en tours longues et pointues dressées vers le bleu du ciel, il s'étalait en cascades d'arcs-boutants, d'ailes décorées, fenêtres et passerelles, au centre d'une immense plaine au vert tendre. Sur l'horizon, une muraille immaculée à deux étages cerclait cette étendue baignée de soleil et de vent, parcourue ici et là de colonnes de marbre, flanquées de plateformes, ou de hauts bâtiments aux toits bombés, longés de bas-reliefs.

— Bon retour sur les Sommets, sergent.

J'entendis Heden, mais ne l'écoutai pas. Une patrouille de soldats filait à vingt mètres au-dessus du sol, toutes ailes déployées.

— Nous trouverons un uniforme à la caserne centrale, ajouta-t-il.

Un autre groupe, à pied, traversait un bout de plaine en longues enjambées. Plus loin, minuscules, des capes bleues flottaient sur des épaules, puis disparurent dans un escalier pour les remparts. Je vis des dizaines de bâtons s'agiter ensemble, dans la même danse ample et hypnotique, des arcs passés dans le dos avec nonchalance.

L'Angevert | L'INTÉGRALEOù les histoires vivent. Découvrez maintenant