Chapitre 38 - Le pendentif

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Les doigts du Corbeau étaient plus durs que de l'acier. Les deux mains sur la sienne, des râles en guise de souffle, j'avais abandonné mon bâton, et luttais pour me dégager. Il ne lâchait pas. Son masque noir regardait devant lui, sans s'intéresser à ce qui agonisait au bout de son bras.

Le paysage était devenu flou depuis longtemps. La serre qui m'empoignait me décolla du sol, mon dos craqua contre un mur. Je voulais prendre appui pour me soulever, mais mes pieds glissaient sans conviction sur la pierre.

En face, des yeux de verre me toisaient avec froideur.

— Toi... crachai-je.

« Toi » ne broncha pas. Il restait plus haut que moi, sa tête ténébreuse jouxtant un plafond. De ses bras maigres, à ses jambes décharnées, il restait immobile, muet comme un Tentavole, solide comme un roc.

Un souvenir m'envahissait. La moindre fuite était bonne à prendre, je plongeais dans ma mémoire.


Des yeux de verre me reflétaient dans toute ma misère. J'étais prostrée au sol, maintenue par une jambe inamovible. Je m'épuisais à rester digne, sans réaliser que je ne trompais personne.

Mon adversaire me toisait en silence. Statue plus noire que la nuit, il portait un épais filet de cordes dans son dos, et trois armes à chacune de ses hanches.

Le manque de logique dont j'avais fait preuve me terrifiait presque plus que la situation. Qu'avais-je espéré, face à lui ? Je n' « en » avais pas pris suffisamment, lui, devait « en » posséder assez pour me réduire en poussière. Il ne l'utilisait pas d'apparence, mais sa jambe piquée entre mes côtes parlait à sa place.

Aurais-je mieux fait de le fuir ? Non, lui, on ne le fuyait pas. J'avais provoqué l'inéluctable en le pourchassant, trop fière pour réaliser que je n'étais pas le prédateur.

De toutes façons, je n'avais pas eu le choix. Le pendentif à mon poignet perdait ses dernières lueurs. Il était trop tard pour réfléchir.

La lame de l'ennemi luisit, plus glaciale qu'un éclair dans l'orage. Il n'assena pas le coup. La lumière de mon bracelet fondit sur le métal de la rapière, le déchiqueta en myriade d'étincelles, avant qu'elle n'atteigne mon cœur.

« Ma Détentrice... » retentit une voix imperceptible au fond de moi.

Je le connaissais assez pour remarquer sa déception. Ce fut ma chance. Alors qu'il dégainait une autre lame d'un geste mécanique, je puisai dans les dernières ressources pour affaiblir sa jambe. En comprimant ma cage thoracique, je parvins à dégager mon torse.

Le pendentif ne brillait plus d'aucune lumière. Maintenant, chaque seconde pouvait être la dernière.

Il n'y avait pas beaucoup de possibilités. Je pris la première à laquelle je pensai. Nous étions sur les remparts, le vide s'ouvrait non loin, avec ses vents incontrôlables. Il ne me suivrait pas. En deux enjambées, je déployai mes ailes et sautai dans les rafales.

Je devais rester proche du nuage. Trouver une galerie inférieure, c'était tout ce qu'il me fallait. Je me terrerais dans les Bas-Quartiers, planquerais le bracelet, prendrais le temps qu'il faudrait, en espérant que personne ne me trouve.

Je me retournai pour vérifier qu'il ne me suivait pas.

Non, il ne me suivait pas.

Mais un filet, oui.

Il quadrillait le gris du ciel. Plus large que mes ailes, des poids sur son pourtour, il plongeait vers Terremeda à vive allure.

Trop vite, les cordes me comprimèrent la figure.

L'Angevert | L'INTÉGRALEOù les histoires vivent. Découvrez maintenant