Chapitre 14 - Van-Ameria

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Autour de nous se déployaient les vagues d'une immense mer de nuages, chaotique et figée. Sa blancheur aveuglante poursuivait le bleu du ciel jusqu'à l'horizon. Entre ces deux univers, nous montions, notre ombre minuscule projetée sur les nuées.

Un nuage nous tirait à lui. Le monstre, étiré comme une tour, était immense, vaporeux, blafard, et solitaire. Si une corde n'était pas en train d'en pendre, je l'aurais pris pour un égaré d'une tempête.

— Enfin un paysage normal ! s'écria Galliem

Penché avec le panier, sa paume ouverte semblait vouloir saisir le vent. Le vide aurait pu l'avaler à chaque instant. Je me le répétais, sans oser le prévenir, quand je vis d'étranges reflets irisés se condenser sur les doigts de l'oiseau. Comme si, avec l'effet combiné du soleil et des vapeurs d'eau, un arc en ciel distordu se formait dans sa main. Mais à la regarder face au soleil, cette chose eut vite plus l'air d'une sphère flottante, pas plus grande qu'une pome, composée d'une multitude de tentacules transparents. Et elle n'était pas seule. D'autres reflets étaient apparus autour de nous, sur l'osier du panier, les cordes, le fond boueux.

Je me figeai sur place. Galliem jouait avec un essaim de créatures invisibles.

Les sphères à tentacules se fondaient dans la lumière, comme si elles en étaient des émanations. Certaines restaient bien visibles, leur silhouette soulignée par les rayons qui nous éblouissaient. J'en vis affluer vers ma nacelle, leurs bras minuscules chargés d'une tige de métal, d'une graine, d'une brindille. Les objets se décrochaient de leurs tentacules, venaient compléter la boue du fond du panier. Puis les créatures repartaient. Ça me convenait très bien, ces choses étaient mieux loin de moi.

Galliem se pencha davantage. Je glissai, m'arrimai à la corde à en faire crier mes doigts gelés.

« Il n'a pas l'air de garder des séquelles. »

Dans cette atmosphère gelée, le remarquer me réchauffa quelque peu. Un sourire tira sur mes lèvres gercées.

Quand soudain, un sifflement strident perça le vent.

— Qu'est-ce que c'est ? sursautai-je.

Maintenant que nous étions loin de la tempête, je m'entendais mieux parler. Galliem dressa les oreilles, désintéressé de ses amis invisibles.

— On veut de nos nouvelles, répondit-il, sitôt penché sur ses poches.

Il en sortit un long et fin sifflet doré. Sans se fatiguer d'une explication, il le porta à sa bouche de côté, puis siffla un son très aigu et sec. La réponse ne se fit pas attendre : un sifflement semblable résonna depuis le nuage.

Entendre ces sons en plein milieu du ciel m'arracha un frisson. Accrochée à la corde, je me relevai péniblement vers le nuage. D'autres sifflements suivirent le premier, comme s'il provenaient de la brume. Des sons aigus, graves, de courtes interruptions, le tout en différentes modulations... un véritable langage.

Galliem se tapota le menton avec l'embout du sifflet, l'air pensif. Puis il produisit un son passant du grave à l'aigu. Un autre enchaînement rapide lui succéda depuis le nuage.

— Il est drôle, celui-là, bougonna-t-il. Il croit qu'on apprend tous le Sifflet, à l'armée ?

— Tu parles vraiment à quelqu'un ? m'ébahis-je, en cherchant une silhouette. Qu'est-ce qu'on te dit ?

— Je comprends pas tout, il parle de nourriture... Peut-être qu'il veut savoir si on a faim. Tu as faim ?

— Heu, non, mentis-je.

L'Angevert | L'INTÉGRALEOù les histoires vivent. Découvrez maintenant